Les Français découvrent le vrai visage du terrorisme comme l'ont connu les Algériens avant eux «Je ne suis pas Charlie, je suis Charlie Martel [en 732 à Poitiers, Charles Martel, le chef des Francs, avait 'arrêté'' une armée musulmane à Poitiers ].» Slogan prêté à Jean-Marie Le Pen Un drame épouvantable: douze personnes appartenant à la rédaction de Charlie Hebdo furent massacrées par deux personnes que l'on dit appartenir à Al Qaîda. Nous sommes d'autant plus scandalisés et tristes car nous avons vécu cette situation de terreur à une époque où le monde entier nous tournait le dos. Il a fallu le 11 septembre pour que l'on découvre le terrorisme et que la voix de l'Algérie soit audible. Au-delà du fait que rien ne justifie ces meurtres, on est en droit de se demander à quoi, à qui profite ces crimes et quels sont les fondements. On invoque à tout bout de champ la laïcité et la liberté d'expression insinuant que l'islam est rétif à cela. Qu'en est-il exactement du blasphème? Le délit de blasphème Le Larousse définit le blasphème comme une «parole ou un discours qui outrage la divinité, la religion ou ce qui est considéré comme respectable ou sacré». En France le délit de blasphème n'existe plus depuis la Révolution. Il a été supprimé par la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse. Du point de vue du droit commun français, une caricature, même irrespectueuse, ne peut donc être un blasphème. S'ils ne pénalisent pas le blasphème, les tribunaux français sanctionnent toutefois «l'injure, l'attaque personnelle et directe dirigée contre un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse» ou l'incitation à la haine raciale ou religieuse. À part la France, dans d'autres pays d'Europe (Allemagne, Irlande, Grèce, Italie, Pologne, Malte, Espagne, Danemark) subsistent des lois contre le blasphème. C'est la notion de trouble à l'ordre public qui est généralement retenue par le droit. A titre d'exemple, au Danemark, l ́article 140 du Code pénal danois stipule: celui qui publiquement raille ou fait outrage aux doctrines de foi ou aux cultes d ́une communauté religieuse légalement établie dans ce pays, est passible de prise de corps. Le Danemark punit ainsi toute moquerie publique d ́une religion. On peut se poser la question pourquoi le journal par qui le scandale arrive n ́a pas été condamné pour les Caricatures du prophète. Y a-t-il deux poids, deux mesures? En Espagne, l'article 525 du Code pénal, interdit «les attaques portées au dogme religieux, croyances ou cérémonies». En juin 2013, la Russie a adopté une loi prévoyant des peines pouvant atteindre 500.000 roubles d'amende et trois années de prison pour des «actes publics» réalisés dans le but «d'offenser les sentiments religieux des croyants». En Suisse, l'art. 261 du Code pénal dispose:«Atteinte à la liberté de croyance et des cultes celui qui, publiquement et de façon vile, aura offensé ou bafoué les convictions d'autrui en matière de croyance, en particulier de croyance en Dieu, (...) aura profané un lieu ou un objet destiné à un culte ou à un acte cultuel garantis par la Constitution, sera puni d'une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus.» Dans le Code criminel du Canada, la «diffamation blasphématoire» est une infraction passible d'un maximum de deux ans de prison. Le Premier Amendement de la Constitution américaine stipule: «Le Congrès ne fera aucune loi pour conférer un statut institutionnel à une religion, (aucune loi) qui interdise le libre exercice d'une religion, (aucune loi) qui restreigne la liberté d'expression, ni la liberté de la presse (...).» Pourquoi alors au nom du vivre-ensemble ne peut-on pas ériger des limites consenties et garantes d'un ciment des différentes composantes de la société autour d'un vivre- ensemble? La tolérance et la liberté d'expression dans les religions Pour les religions monothéistes, la condamnation du blasphème est un thème central depuis l'un des premiers livres recueillis dans la Bible, le Lévitique: «Si un homme insulte son Dieu, il doit porter le poids de son péché; ainsi celui qui blasphème le Nom du Seigneur sera mis à mort.» La naissance de l'Eglise orthodoxe, et son besoin de maintenir l'orthodoxie, développa largement la censure qui fut appliquée pour éradiquer les menaces hérétiques au dogme chrétien. Les autorités de l'Eglise catholique romaine nommaient des censores librorum chargés de s'assurer que rien de contraire à la foi ne puisse être publié. L'Islam enseigne la tolérance et la paix et respecte la liberté de religion, car le Coran affirme que: «Il ne doit pas y avoir la contrainte dans la religion.» (S.2:257) et «L'homme est libre d'accepter ou rejeter.» (S.18:30). On trouve dans le Coran des préconisations de sagesse pour ne pas opposer la violence au blasphème. Le Coran préconise uniquement une réaction pacifique «Et quand tu verras ceux qui plaisantent avec nos signes, alors détourne-toi d'eux jusqu'à ce qu'ils changent de conversation. Et si Satan te fait oublier ce précepte, alors après t'en être souvenu, ne reste pas assis en compagnie des injustes». (S. 6: 69). Mahrukh Arif va plus loin, il dénie aux terroristes le droit de parler au nom de l'islam. Pourquoi devrions-nous laisser ces terroristes instrumentaliser et s'emparer de notre religion pour commettre des actes au nom de l'islam, au nom d'Allah et du Prophète Muhammad (Qsssl)? Dans le Coran, le Dieu «Gracieux et Miséricordieux» affirme au sujet du Prophète Muhammad (Qsssl): comment peut-on alors prétendre avoir vengé le Prophète en tuant 12 personnes de sang-froid? Comment peut-on prétendre avoir agi par amour pour le Prophète en faisant l'exact contraire de ce qu'il a prescrit? «Le vrai musulman est celui dont les fidèles n'ont à redouter ni sa main, ni sa langue», est-il rapporté par une tradition (...) Si aujourd'hui les musulmans choisissent de condamner ces attaques contre Charlie Hebdo, c'est au nom de cette compassion dont le Prophète Muhammad (Qsssl) était l'incarnation. Cela ne veut pas dire qu'ils approuvent les Caricatures du Prophète. (...)Ne laissons pas ces extrémistes s'approprier notre religion qui enjoint à la paix».(2) Il est donc évident qu'un Islam bien compris n'a rien à voir avec le comportement de ces jeunes épaves à la lisière de deux mondes, d'autant plus sensibles aux discours radicaux qu'ils ont raté le «temporel», se rattrapant ainsi en investissant dans l'au-delà Les «entorses» spéciales à la liberté d'expression La liberté d'expression une et indivisible s'accommode mal d'exception. Mathieu Vasseur nous parle des dégâts occasionnés à la liberté d'expression par la loi Gayssot: «Depuis la loi Gayssot, la France a sombré dans un abîme de liberté d'expression à géométrie variable. Il est temps d'en sortir! Au commencement était Gayssot. Non, attendez: au commencement était l'«Holocauste». Par le choix, popularisé dans les années 1970, d'un terme issu de l'Ancien Testament pour désigner l'extermination des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ce génocide était investi d'une signification religieuse. Fait historique, oui, mais aussi Sacré de substitution dans un Occident déchristianisé. Toute l'ambiguïté réside dans cette double dimension. La loi Gayssot, en 1990, interdit la négation de l'Holocauste. Consciente que cette innovation juridique entre en conflit avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui consacre la liberté d'expression, et avec la devise même de la République, la classe politique décide de ne pas transmettre cette loi au Conseil constitutionnel, de crainte qu'il ne soit contraint de la censurer.» (3) «Cependant, le crime de déni de réalité historique n'est pas la seule nouveauté de la loi Gayssot. (..). Ces provocations que l'on tolère avec indulgence de la part des artistes et des Femen, pourquoi les interdire aux jeunes des banlieues? Parce que l'Holocauste est «plus sacré» que le christianisme? Parce que la «quenelle» est «pire» que pisser sur l'autel d'une église? Pire que des caricatures de Mahomet? Qui en décide, au nom de quoi? S'enclenche la spirale infernale de la révolte d'un côté, nourrie par le sentiment d'injustice, et d'une répression toujours plus folle de l'autre. Deux lycéens se font exclure de leur lycée, un animateur social «des quartiers» perd son emploi, tout cela pour avoir fait la fameuse «quenelle». (...) Otage de cette course à l'abîme, la communauté juive de France, devenue, complice ou à son corps défendant, le symbole de cette oppression d'Etat. En la désignant comme caste sacrée, la loi Gayssot en a fait une cible.»(3) Dans le même ordre des «exceptions» le Concordat appliqué à l'Alsace-Lorraine fait que la la laïcité ne s'y applique pas. Profitant de l'existence du délit de «blasphème» dans le droit local alsacien - alors qu'il n'existe plus dans le droit commun français -, la Ligue de défense judiciaire des musulmans (Ldjm), assigne Charlie Hebdo pour ce motif devant le tribunal correctionnel de Strasbourg. La première audience s'ouvre ce lundi 17 février 2014. Les poursuites visent la une de l'hebdomadaire satirique du 10 juillet dernier, qui, après une tuerie en Egypte, titrait: «Le Coran c'est de la merde, ça n'arrête pas les balles.» De plus, l'article 166 du Code pénal local - hérité de la législation allemande - relatif au blasphème énonce: «Celui qui aura causé un scandale en blasphémant publiquement contre Dieu par des propos outrageants, ou aura publiquement outragé un des cultes chrétiens ou une communauté religieuse établie sur le territoire de la Confédération (...) sera puni d'un emprisonnement de trois ans au plus.» (4) «La France frappée au coeur de sa nature laïque et de sa liberté» Pour le sociologue Edgar Morin des jours difficiles attendent les Français, notamment musulmans. Commentant les tueries de Charlie Hebdo: «Notre émotion ne doit pas paralyser notre raison, comme notre raison ne doit pas atténuer notre émotion. Il y eut problème au moment de la publication des caricatures. Faut-il laisser la liberté offenser la foi des croyants en l'Islam en dégradant l'image de son Prophète ou bien la liberté d'expression prime-t-elle sur toute autre considération? Je manifestai alors mon sentiment d'une contradiction non surmontable, d'autant plus que je suis de ceux qui s'opposent à la profanation des lieux et d'objets sacrés. Cela dit, mon horreur et mon écoeurement ne peuvent m'empêcher de contextualiser l'immonde attentat. Il signifie l'irruption, au coeur de la France, de la guerre du Moyen-Orient, guerre civile et guerre internationale où la France est intervenue à la suite des Etats-Unis. La montée du Daech est certes une conséquence des radicalisations et pourrissements de guerre en Irak et en Syrie, mais les interventions militaires américaines en Irak et en Afghanistan ont contribué à la décomposition de nations composites ethniquement et religieusement comme la Syrie et l'Irak.» (5) Les Etats-Unis ont été apprentis sorciers et la coalition hétéroclite et sans véritable force qu'ils conduisent est elle-même vouée à l'échec. (...) Par ailleurs, il y a une coïncidence, du reste fortuite, entre l'islamisme intégriste meurtrier qui vient de se manifester et les oeuvres islamophobes de Zemmour et Houellebecq, elles-mêmes devenues symptômes d'une virulence aggravée non seulement en France, mais aussi en Allemagne, en Suède, de l'islamophobie.(5) Le bal des hypocrites et la diabolisation des musulmans Avec rage et perspicacité Caleb Irri fait la part des choses et replace l'hypocrisie des médias dans son contexte: «Ah ils sont beaux tous ces pleurnichards qui défendent à grands cris «la liberté d'expression»! Tous réunis pour défendre la République, «une et indivisible» qu'ils disent! Alors que cela fait plus de 10 ans que tous les politiques de tous bords s'acharnent à stigmatiser les musulmans par les amalgames les plus grossiers! Alors que cela fait je ne sais combien de lois votées qui peu à peu restreignent la liberté de la presse ou d'expression, je ne sais combien de fois qu'ils tentent de diviser les Français entre eux... et ils viennent nous parler d'Union Sacrée, des sanglots dans la voix? A la télé on ne voit que Zemmour, Le Pen et maintenant Houellebecq, à la radio on ne parle que du problème musulman, de l'immigration ou du terrorisme, ils jouent là-dessus depuis si longtemps... et on vient s'étonner de l'horreur commise aujourd'hui? Il fallait bien que ça arrive malheureusement. Le monstre créé par nos gouvernants avec l'appui de nos médias est une auto-réalisation de la peur qu'ils ont insufflée, de la haine qu'ils ont disséminée.» (6) Et ils viennent nous parler de Charlie Hebdo. Plus personne ne lit Charlie Hebdo, tous les politiques le méprisaient, il était à la limite de la faillite. Que les choses soient claires, cela n'enlève rien à l'humanité des pauvres victimes de ce drame atroce, Pas d'amalgames disent-ils, mais qui va remplir ses adhésions sinon le FN, qui va vendre des livres sinon Zemmour et compagnie? Ils ont créé la peur et la haine, et ils voudraient nous faire croire qu'ils défendent l'amour et la paix? ça me dégoûte. Et tous les citoyens vont comme un seul homme sortir dire «non au terrorisme», ce qui pour eux signifie «non aux musulmans», alors qu'ils ne sont pas foutus de sortir dans la rue pour défendre leurs libertés quand les lois qui les leur suppriment sont votées en leur nom! Et pour finir: ces pauvres malheureux n'ont pas été tués «pour la liberté d'expression» comme on le voit partout mais pour provoquer la haine entre les communautés, voire les nations. Pour faire naître la peur chez des hommes et des femmes affaiblis par une propagande anti-islam bien utile et engendrer le chaos à l'intérieur des Etats déjà malmenés par la crise. Ce sont les musulmans, les vrais, qui ont le plus à craindre dans tout ça, car à voir comment les choses se passent aujourd'hui, il est fort possible que cela retombera in fine sur eux (...)»(6) En définitive, toute liberté doit se donner ses propres limites. On ne peut pas traiter n ́importe comment ce qui constitue le fondement de la foi de millions de croyants. Les hommes politiques occidentaux pour des raisons électoralistes mais aussi et souvent par conviction profonde (le syndrome de la bataille de Poitiers étant toujours présent dans les imaginaires), n ́ont pas de considération pour le monde musulman. Les idéologues bien connus, les Zemmour Finkielkraut, Houellebecq ont tous les médias à leur disposition pour déverser leur haine contrairement à des personnalités courageuses et honnêtes comme Esther Benbessa, Edgard Morin, Rony Braumann, nous amèneront le choc des civilisations que Samuel Huntington avait appelé de ses voeux. Pourtant, la laïcité à la française est un modèle de société de loin préférable aux modèles communautaristes. Seule une prise de conscience globale sans arrière-pensée permettra à tous les Français à part entière de barrer la route à ces semeurs de haine. On l'aura compris, cela passe par la nécessité du respect mutuel. 1.http://www.legrandsoir.info/la-defaite-de-la-pensee-peut-on-ecrire-sous-contrainte.html 2.http://rue89.nouvelobs.com/2015/01/08/francaise-musulmane-refuse-nom-dallah-soit-associe-a-cette-haine-256965 3. Matthieu Vasseur. http://www.contrepoints.org/2014/01/14/153157-les-dangereuses-metastases-de-la-loi-gayssot 4.CamilleBordenethttp://www.lemonde.fr/societe/article/2014/02/17/charlie-hebdo-peut-on-invoquer-le-delit-de-blaspheme-en-france_4368062_3224.html 5.http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/01/08/la-france-frappee-au-c-ur- de-sa-nature-laique-et-de-saliberte_4551971_3232.html 6.Caleb Irri 8 01 15 http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/ putains-d-hypocrites-161643