Dire que le mariage en Algérie est cerné par moult difficultés et appréhensions relève de l'euphémisme. A croire qu'il est pratiquement impensable dans l'Algérie d'aujourd'hui de fonder un foyer. D'ailleurs, peut-on convoler en justes noces quand leur coût ne cesse d'augmenter? Mais il s'agit bien plus qu'une simple interrogation. Théologiens, intellectuels de tout bord et autres artistes s'indignent chacun à sa manière, en abordant ce thème. Mais ils demeurent comme la société toute entière, au stade de l'expectative. Devant cette hausse vertigineuse du coût des noces, raréfiant du coup le marché des épousailles de sa clientèle, de nombreux imams s'offusquent. Sans verser, loin s'en faut, dans l'extrémisme, ceux de Constantine n'ont pas cessé, ces derniers mois, a-t-on appris, d'exhorter les fidèles à réduire le coût du mariage. «Voulez-vous verrouiller les portes de la vie?» s'exclament-ils poétiquement lors des prières spéciales du vendredi. Ils ne faisaient qu'emboîter le pas à d'autres commis des mosquées à Djemaâ, dans la wilaya d'El Oued. Ici et là, on espère tout au moins une revue à la baisse de la dot, somme d'argent que le prétendant doit donner à ses beaux-parents ou à sa fiancée directement. «Prenez de vos futurs gendres 6 millions (60.000 DA) comme Sadak au lieux de dix. Et limitez autant que faire se peut les dépenses super-fétatoires». Telles sont les consignes réitérées par les religieux officiant notamment dans les mosquées de l'est et du sud du pays. Rien n'y fait. Les rites ont la peau dure De nombreux prétendants au mariage ont cent raisons de désespérer. Tout d'abord, ce n'est pas demain la veille que les conseils de l'imam du coin ou d'un quelconque surréaliste, seront suivis. En matière matrimoniale, la société dans son ensemble s'accroche - allez savoir pourquoi - à des traditions vieilles de plusieurs siècles, qu'on ne peut effacer ni par un simple prêche ni même par une loi dûment décrétée par les pouvoirs publics. Si c'était la belle époque, on croirait sans doute que les Algériens ont tellement envie de faire la fête qu'ils se soucient comme d'une guigne des dépenses faramineuses. Pourtant, même avec cette crise, dès qu'un prétendant se présente, les exigences d'ordre matériel, pécuniaire, sont mises en avant. Originaire d'El Attaf, Belarbi (55 ans), avoue qu'il ignore combien son père a dépensé lorsqu'il l'a marié en 1974, à une fille de douar. Maintenant, on peut voir et choisir son partenaire. Mais la douleur étrangle notre interlocuteur en parlant du nombre sans cesse croissant des célibataires ayant dépassé la quarantaine. Le coût exorbitant du mariage les bloque. «Réduites à leur plus simple expression, les noces coûtent chez nous, ajoute-t-il, entre 15 à 20 millions. Les riches dépensent deux fois plus». Les bijoutiers n'en sont que plus heureux. Ils ouvrent de plus en plus d'autres boutiques. A Relizane, particulièrement en zone urbaine, les mêmes sommes d'argent sont déboursées pour les fêtes nuptiales. «Aucune famille ne te donnera sa fille si tu ne ramènes pas la quantité de bijoux réclamée», prévient Ali, la trentaine, toujours célibataire, dans cette région de l'Ouest. «Pour se marier, explique-t-il, il faut économiser pendant de longues années en plus des dettes contractées auprès des proches et des amis». Cette folie des prix n'a guère tendance à se calmer. Et l'espoir de fonder un foyer s'amenuise comme une peau de chagrin, chaque année. Amusez-vous à observer ces jeunes des deux sexes qui pullulent dans les rues et les différents lieux de travail. Ne pouvant établir l'union officielle, ils se laissent emporter par le plaisir d'être ensemble l'espace d'une demi-journée. «Rien ne vaut la véritable union», soupire Rehma, Constantinoise âgée de 34 ans. Elle regrette cependant d'avoir rabroué quand elle était plus jeune, moult prétendants qui manquaient de moyens. Les parents renvoient aussi illico presto dans sa région, tout prétendant n'ayant pu répondre à leurs exigences. Pour Brahim, ce monsieur à l'allure fière malgré ses soixante ans, il ne s'agit là que d'une tradition qu'il faut respecter. Au point de déclarer sur un ton solennel: «Les parents font monter les enchères pour donner encore plus d'importance à leur fille». Et cela peut la prémunir, avant tout, d'un éventuel divorce. «Car, selon notre interlocuteur, qui n'a pas l'air de plaisanter, si un homme dépense des sommes énormes pour sa fête, il n'aura plus cette hardiesse de changer de femme comme on change de chemise». Dire que le mariage en Algérie est cerné par moult difficultés et appréhensions relève de l'euphémisme. Pour l'ensemble de la société, le sujet est devenu explosif étant donné qu'il a des soubassements économique, politique, culturel et religieux. Un sujet explosif Suite naturelle d'une crise multiforme, ce thème d'essence sentimental - c'est le cas de le rappeler - cristallise la douleur d'une bonne partie de la jeunesse algérienne. «Ma dulcinée menace de me quitter depuis qu'elle a su que je ne possède ni emploi stable ni chalet», se plaint Rabah de Bordj Ménaïel. La complainte de ce jeune de 41 ans peut devenir le début d'une chanson raï ou rap à ajouter aux nombreuses musiques contestant l'ordre établi. L'angoisse de Rabah s'accentue lorsqu'il parle de ses rivaux issus des familles relativement aisées. «Que faire si elle (sa bien-aimée) cède aux pressions de ses parents ou du voisinage?», s'inquiète-t-il encore. Partout, en fait, le mariage pose problème, même s'il présente dans de nombreuses régions de la Kabylie quelques singularités. Dans les hameaux d'Aïn El Hammam, c'est la fille qui doit apporter sa dot en se mariant. On parle plutôt de ce trousseau qu'on lui prépare dès sa naissance. Le jeune homme donc, apparemment, n'a rien à perdre (s'il le veut), et tout à gagner. A l'heure de la lecture de la Fatiha, le sadak se limite à un billet de 100 ou de 200 DA. La même somme d'argent est donnée à l'imam qui officie l'union. Certes, le prétendant est tenu d'offrir une bague et une ou deux robes à sa fiancée. Le jour de la fête, il doit offrir un mouton et un sac de semoule à ses beaux parents qui auront eux dépensé ce jour-là beaucoup plus que lui. Libre à lui, ensuite, de construire sa propre maison et de la meubler en prenant son temps. Il doit garder cependant en mémoire la recommandation de son beau-père. «Je t'ai donné ma fille, soit un véritable homme (ilik dhargaz) et prend soin d'elle». Voulant à tout prix le bonheur pour leurs filles, les familles d'Aourir, d'Aït Ilem ou d'Ouaghezn pour ne parler que de ces agglomérations de Michelet, préparent minutieusement la dot. Pourtant, celle-ci coûte cher. Les rites ont la peau dure, y compris en Kabylie.