Mme Vicki Huddleston, l'ambassadrice américaine au Mali, qui a bloqué l'opération d'élimination de Belmokhtar par un drone Dans un livre fracassant signé par Vincent Nouzille et intitulé Les tueurs de la République on révèle pour la première fois les opérations secrètes des militaires français et américains dans le Sahel, dont celle qui consistait à éliminer Belmokhtar. Le livre très bien fouillé, signé par un journaliste d'investigation et grand reporter à L'Express, à L'Expansion et au Nouvel Economiste, révèle l'un des secrets les mieux gardés de la République française: les tueurs qui sont intervenus à tout moment pour éliminer des personnes jugées dangereuses pour la sécurité de la France ou ceux qui ont conduit des guerres secrètes contre des ennemis présumés. Autrement dit, la France tue parfois pour régler des comptes. Ainsi le livre raconte comment la France a mené clandestinement depuis des décennies, au nom de la protection de ses intérêts, du Moyen-Orient à la Françafrique, des actions meurtrières inavouables: vengeances d'Etat, assassinats en série, attentats commandités par l'Elysée, guérillas sanglantes, éradication de chefs terroristes, emploi de mercenaires sulfureux ou de services secrets alliés peu regardants... Pour ce faire, la Dgse (la direction générale de la sécurité extérieur, chargée du contre-espionnage) dispose de son Service action et, en marge de celui-ci, d'une cellule clandestine dont ce livre a retracé avec détails les opérations. Ses agents et des commandos des forces spéciales sont entraînés pour mener à bien ces exécutions ciblées, appelées «opération Homo» (pour homicide), ainsi que des opérations plus vastes de «neutralisation», souvent en marge des conflits déclarés. Ainsi, dans ce livre on découvrira que les forces spéciales de la Dgse avaient dans leur cible plusieurs leaders des groupes armés dans le Sahel. C'est vers la fin 1999, que les services français repèrent une quarantaine de fidèles de la katiba du Gspc, au nord du Niger. «Nous surveillions leurs itinéraires, se souvient un cadre de la DGSE. Des écoutes laissaient penser qu'ils étaient armés, déterminés à faire un carton sur le rallye Paris-Dakar. Le risque était majeur.» Par ailleurs, la Dgse recommande des actions «de vive force» du SA (le Service action) de la direction des opérations (DO) au sein de la direction générale de la sécurité extérieure (Dgse) chargée de la planification et de la mise en oeuvre des opérations clandestines pour éliminer directement le groupe de Belmokhtar. Dans les derniers jours de décembre 1999, des équipes du SA sont sur place et le ministère de la Défense mobilise des forces stationnées en Afrique pour un possible raid sur le camp du «Borgne». La mauvaise cohabitation du président Chirac avec le Premier ministre Jospin avait conduit à bloquer les opérations. De plus, les autorités françaises craignent des représailles et des reproches de la part des Algériens, sourcilleux au sujet de tout ce qui se passe dans la zone sahélienne. «Nous pouvions éliminer Belmokhtar, et nous avons aussi eu El Para dans le viseur, mais le feu vert n'est pas venu, regrette un ancien du SA. Nous aurions pu éradiquer AQMI dès ce moment-là, alors qu'ils ne représentaient que deux cents personnes. Ce fut une grave erreur de ne pas s'en occuper à cette époque.» Quelques mois plus tard, Mokhtar Belmokhtar rejoint officiellement le Gspc, dont l'ascension devient irrésistible. En mars 2004, lors de combats violents avec des membres du Gspc Abderazak El Para est capturé par l'armée tchadienne, puis remis aux Libyens qui l'extradent vers l'Algérie en octobre 2004. Cependant, lorsque le Pentagone localise Mokhtar Belmokhtar et se prépare à frapper avec des missiles tirés depuis des drones, l'ambassadrice américaine au Mali, Vicki Huddleston, bloque l'opération, la jugeant trop risquée. Une erreur stratégique grave puisque en janvier 2007, le groupe grandit et s'entoure des émirs belliqueux et véreux comme le Touareg malien Abdelkrim al-Targui, le vétéran Mokhtar Belmokhtar et son nouveau rival Abou Zeid, un ancien bras droit d'El Para, fait surtout allégeance à Ben Laden et devient Al-Qaîda au Maghreb islamique (Aqmi). C'est ce même chef terroriste Belmokhtar qui était dans le viseur des Américains qui a entrepris le kidnapping de deux diplomates canadiens travaillant pour l'ONU: Robert Fowler avec Louis Guay en 2008. Pour réparer leur faute sur le terrain militaire, les Américains transforment leur plan d'aide de 2002 en Trans-Saharan Counterterrorism Initiative (Tscti), avec un volet militaire doté d'une centaine de millions de dollars par an, répartis entre une dizaine de pays, dont l'Algérie. Mais le Tscti se révèle inefficace et s'embourbe à son tour, conclut Vincent Nouzille dans son livre.