Ils sont jeunes, mais ont déjà la conscience des adultes. De 9h 30 min à 15h, Abdelhak et Mahfoud et d'autres jeunes de Bab El-Oued se sont battus sans relâche pour tenter d'atténuer quelque peu l'horreur qui a frappé leur quartier, en repêchant les cadavres des victimes des inondations et des crues violentes. Nous les avons rencontrés à la polyclinique Commandant Mira du secteur sanitaire de Bologhine. Transis de froid, enveloppés dans des couvertures qu'ils disputaient aux rafales de vent, ils nous racontent leur combat: «Depuis ce matin, nous sommes au bord de la mer pour repêcher des corps. Il y en a beaucoup. Toutes ces familles qui n'ont pas encore trouvé leurs êtres chers, nous causent beaucoup de chagrin. Le devoir nous recommande de venir en aide à nos frères et à notre pays. Comment demeurer les bras croisés avec tout ce qui se passe?» Le premier responsable de la polyclinique, le Dr Rahal nous a résumé la situation en quelques mots : «Nous recevons encore des morts et des blessés au centre, par centaines depuis samedi. Les corps ont été évacués vers le cimetière d'El-Alia et les blessés reçoivent, chez nous, les premiers soins. Les cas les plus graves sont orientés vers Maillot, Mustapha et El-Kettar.» Concernant l'apport d'autres structures, le Dr Rahal nous a indiqué que son centre a été renforcé par des médecins et infirmiers et autres personnels médicaux venus de plusieurs hôpitaux d'Alger, de Blida et de Tipasa. Dans l'enceinte de la clinique, douze familles sinistrées ont été accueillies depuis samedi dernier. Ces familles n'ont reçu aucune aide de l'Etat. Seuls des particuliers ont pu leur porter assistance tel Aventis Pharma. Des citoyens sont venus des quartiers voisins qui avec une couverture, qui avec un réchaud à gaz, qui avec des vêtements. On nous a appris que la cellule d'écoute de la polyclinique a commencé, aussitôt après le drame, à s'occuper des citoyens les plus affectés. Le Dr Samira Boukefda nous évoquera le cas de cette jeune fille de 18 ans qui a perdu sa mère et qui se reprochait d'avoir survécu. Elle refusait de boire, de manger et de dormir. Elle souffrait de ce que les psychologues appellent le syndrome de culpabilité. Il y a aussi le cas d'Amine, 9 ans qui a vu des dizaines de personnes emportées par les eaux boueuses vers la mer en contrebas d'El-Kettani. Parmi ces personnes il y avait son petit frère. Amine se trouvait près de nous, à l'intérieur du centre. Il avait une feuille de papier sur laquelle il avait dessiné un immeuble avec aux fenêtres des gens qui gesticulaient. Ils demandaient de l'aide. En bas, l'eau a tout envahi. A l'aide d'une barque, des secouristes tentaient de les sauver en se servant de cordes. Amine lève son petit regard sur nous et nous dit d'une voix tremblante: «Vous savez ce que je veux : une nouvelle maison et retourner à l'école.»