L'homme jaune Fraîchement installée à la tête du département arts visuels et patrimoine, l'artiste Meriem Ait El Hara nous a concocté au siège même de Dar Abdellatif, une expo collective d'arts plastiques, visible depuis jeudi, et pendant un mois. Baptisée La jeune scène artistique algérienne, cette expo rassemble sept artistes présentant des travaux divers, entre peintures, et photographies et installations, notamment celle de Karim Nazim Tidafi qui, en expliquant sa démarche artistique, dit vouloir «donner vie à son univers d'enfant sous forme d'oeuvres plastiques telles que des assemblages, meubles aux allures de flipper et les partager avec autrui, leur attribuant de la sorte une nouvelle vie». Aussi, parmi ses oeuvres nous retrouvons Foulla la Barbie voilée que notre artiste met en scène avec dérision car affublée d'une tête de cochon dans un monde onirique pour lui faire dire ce qu'elle nous a dévoilé, dit il. Nazim Karim Tidafi présente ainsi deux de ces flippers, flanqués de deux grandes photos reproduisant ce même travail pour pouvoir l'admirer autrement qu'en 3 D. Uu monde très spécial qui détonne avec le reste des oeuvres exposées dont certaines paraissent austères, du coup, à côté. «En deux mois ça a été très rapide pour monter cette expo. Le choix s'est fait. Je ne voulais pas qu'il y ait des artistes reconnus. Je voulais prendre même des étudiants des beaux-arts en fin de cycle pour dire qu'il y a deux jeunes talents à la hauteur, notamment Yasmine Bourouila et Belkis Sergoua. Pour les expos à venir je signale que le 8 mars se tiendra une expo-photo de Maya Touam, le 14 mars exposera Jahida Ouhadef. A partir du 9 mars nous recevrons Bruno Boudjelal en résidence d'artistes photographiques pour 15 jours. Pour revenir à l'expo du moment, ce sont des coups de coeur. «C'est pour annoncer que la villa Abdellatif est ouverte aux jeunes artistes et l'Aarc est la pour promouvoir la culture algérienne. Et quand on parle de rayonnement, il faut commencer par la jeunesse», nous dira Meriem Ait El Hara. Pour le jeune Mostaganémois Yasseur Ameur, licencié en design de l'environnement, et actuellement enseignant à l'école régionale des beaux-arts de Mosta, l'artiste revient avec son travail obsessionnel de ces dernières années sur L'homme jaune inspiré de l'expression «dahka safra». La singularité de cette nouvelle exposition à Dar Abdellatif est la dualité de cet homme qui n'est plus moche seul mais accompagné de sa moitié dans certains de ses dessins. Il y a notamment ce titre évocateur, Pauvre couple qui rappelle toute la misère sentimentale qui enveloppe peut-être notre jeunesse frustrée déclinée sous une forme encore plus mélancolique par l'artiste qui se plaît au fond à puiser dans l'atmosphère pessimiste pour débusquer ou titiller le beau qui est en nous, malgré tout. Yasseur n'a pas fini en tout cas de poursuivre et d'explorer les méandres de l' état d'âme humaine. Car la vie mérite d'être vécue aussi, qu'importe les conditions. Yasmina Bourouila qui est une jeune étudiante à l'Ecole des beaux-arts d'Alger exhume, pour sa part, l'âme de l'être humain dans des portraits délicats et sensibles. La peinture, révèle-t-elle, relève presque de l'intimité. Le visage ne devient qu'un prétexte pour traduire une personne. Il est ainsi dans son hommage rendu à l'artiste chanteur et musicien Sugarman. Fatima Chafa, quant à elle, avec un peu plus d'expérience au compteur, nous présente des photos où est mise en scène sa poupée «allant à la rencontre de la population du camp de réfugiés sahraouis, en 2012». Démarche bizarroïde qui inscrit l'insolite dans ce qu'il y a de plus grave et urgent à sauver dans ce monde honni.. Celui d'êtres humains qu'on a omis et nié l'existence. Un drôle de rapport ainsi Homme/poupée. L'initiatrice de l'évènement Un samedi en couleurs et le groupe Belaridj El Haik, Souad Douibi, nous revient quant à elle avec une démarche artistique pas très convaincante mais néanmoins atypique. Souad Douibi raconte son attachement à la sardine, mot qu'on attribue en général sur un plan sociétal pour désigner un groupe d'individus regroupés comme des sardines. Son travail consistant à composer des sardines à base de papier mâché, coloré, photographié et accompagné de brosse. Quel rapport entre le collectif de ces personnes dans un lieu public et les sardines? Peut-être l'idée de se frotter à autrui dans un milieu exigu ou encore cet attroupement non pas de moutons mais d'êtres humains qui se collent l'un à l'autre, dans le but de leur ressembler. D'être comme l'Autre. Adlane Samet qui, pour sa part, avec de nombreuses expos à son actif, nous dévoile sa nature profonde avec des peintures représentant des personnages reconnaissables parmi mille. Des êtres sombres baignant dans des couleurs chaudes mais floues. Les personnages fragiles, fruit d'un lâcher prise instinctif et spontané, rapporte l'artiste, rappellent inconsciemment une partie de notre enfance. «Je vous invite à découvrir le résultat d'un amusement mélancolique rempli d'insatisfactions» dit-il. En effet, ses étranges personnages ne semblent pas si heureux que ça mais plutôt tristes, et désemparés, avec une certaine pointe de naïveté décalée, non sans traduire les préoccupations des adultes d'aujourd'hui, de l'adulte qu'est devenu Adlane, notamment le phénomène de l'émigration et la harga. Enfin, Sergoua Belkis, étudiante en 4ème année de peinture à l'Ecole supérieure des beaux-arts nous donne à voir le mouvement avec finesse et quelques fragments de nous-mêmes et du monde qui nous entoure. Du portrait à l'espace, dit l'artiste «je ne cherche pas à reproduire une image comme elle est censée être, je tente dans ma démarche à fixer, non pas le sujet mais une perception furtive de ce que je sens et ressens à son contact.»Une expo à voir en tout cas durant un mois. Pour info, «D'art Abdellatif-expo» a pour ambition de contribuer à la promotion des arts visuels à travers de jeunes artistes, issus en majorité de l'Ecole supérieure des beaux-arts d'Alger. Ainsi, Dar Abdellatif dont la vocation originelle est d'être la résidence des artistes, met à disposition ses espaces pour accueillir les travaux et oeuvres de la nouvelle et jeune création artistique algérienne» peut-on lire dans le communiqué de presse. Bonne initiative en tout cas.