L'hyper-visibilité des attentats et la sous-visibilité des groupes armés déroutent les Etats-Unis. Dès 1998, Al Qaîda s'est posée dans le vaste monde arabo-musulman comme le pilier incontesté de la guerre contre l'Occident. Formée à partir de 1989, en Afghanistan, par d'anciens arabes afghans, Al Qaîda est formée par un noyau d'intellectuels djihadistes, d'anciens officiers de l'armée et d'artificiers professionnels. Mécène du djihad mondial, le cheikh Oussama Ben Laden est tout de suite plébiscité par le noyau originel de l'organisation, mais reste encore dans l'ombre de l'éminence grise du groupe, le docteur Ayman El-Zawahiri, déjà chef du djihad islamique ou d'Abou Hafs El-Misri, dont l'identité réelle, Mohamed Attaf était déjà notoire. Un Algérien figurait déjà en 1989 dans la liste des membres fondateurs: Saïd Qari. Entre 1989 et 1998, soit pendant dix ans, Al Qaîda essayait de trouver la faille pour s'imposer comme porte-drapeau du djihad au plan planétaire. Malgré quelques coups d'éclat médiatiques sans réelle portée politique, l'organisation ne trouve ses marques qu'à partir de 1998, avec les attaques contre les destroyers USS Coole dans le port d'Aden au Yémen (17 marins tués) et contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie et qui ont fait 224 morts. L'année 1998 a été l'année charnière où Al Qaîda se donne la dimension djihadiste mondiale en trouvant les credos porteurs qui lui manquaient : guerre totale contre les judéo-croisés. A la base de ce nouveau déploiement idéologique, un hadith qu'elle met à exécution et qui donne ses résultats six ans plus tard en 2004: «Faites sortir les mécréants de la péninsule arabique!». Cette sentence théologico-politique fera florès parmi les jeunes recrues djihadistes. Le 11 septembre 2001, Al Qaîda réussit les plus spectaculaires et les plus hallucinants attentats terroristes du monde contemporain contre les deux tours jumelles de New York et le Pentagone, symboles de la puissance économique et militaire des Etats-Unis. Paradoxalement, ce pic sera le début de l'affaiblissement d'Al Qaîda. Ses chefs seront traqués en Afghanistan et au Pakistan. Ses leaders, connus, médiatisés, ne peuvent plus se déplacer. On assiste alors à leur capture ou à leur élimination, les uns après les autres. Au cours des premiers bombardements de Tora-Bora, Mohamed Attaf, le chef militaire connu sous le nom de guerre de Abou Hafs El-Misri, trouve la mort. Il était le n°2 d'Al Qaîda, après Ben Laden, mais bien avant Ayman El-Zawahiri, le théoricien de l'organisation. Le 28 mars 2002, Abou Zoubeida, un proche lieutenant de Ben Laden, est arrêté au Pakistan et remis aux Américains. Le 11 septembre, Remzi Ben Al Sheïba, accusé d'être le recruteur du réseau de Hambourg, est arrêté au Pakistan. Un mois plus tard, le prêcheur Abou Qatada, accusé d'être un leader spirituel pro-Al Qaîda, en Europe, est arrêté en Grande-Bretagne. Coup sur coup, tombent Abderahim Al-Nachiri, organisateur présumé des attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie et contre le navire de guerre américain, USS Coole, et Ali Qaed Sunian Al-Harithi, chef d'Al Qaîda au Yémen, tué dans la province de Maâreb lors d'une attaque lancée par la CIA. Khaled Cheikh Mohamed, présenté comme l'organisateur des attentats du 11 septembre, est arrêté au Pakistan et remis aux autorités américaines. Le Marocain, Yassir El-Jaziri, présenté comme le «chargé d'affaires» d'Al Qaîda, est arrêté au Pakistan le 16 mars 2003. Le 14 août tombe en Thaïlande, le lieu principal entre Al Qaîda et la Jamaâ islamyia, Riduan Isamudine Hambali, puis le 2 août, Ahmed Seed Abderahmane Khadar, Canadien d'origine égyptienne et haut dirigeant d'Al Qaîda, est tué dans la zone tribale du Pakistan. Dès lors, la difficulté de se mouvoir pour Al Qaîda est compensée par l'émergence de petits groupes djihadistes qui aiment à se vanter de leurs sympathies pour l'organisation de Ben Laden, mais qui, en fait, sont quasi autonomes. Ces petits groupes, nés en Irak, en Algérie, en Afghanistan, au Maroc, et ailleurs dans le monde arabe, et même dans les pays occidentaux, sont peu connus, aux contours encore flous, aux objectifs politiques imprécis, mais sont d'une efficacité angoissante. C'est à ces groupes qu'on impute les attentats de Madrid, de Bali, de Riad, de Jakarta, de Kaboul, etc., et qui tous convergent vers l'objectif clair de terroriser et de punir l'Occident. Si des otages importants n'avaient pas été retenus à Baghdad et au Sud algérien, peu de gens dans le monde auraient entendu parler de «Ansar Essun», «Djeïch islami fil Irak» ou le Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Nous sommes bel et bien passés au djihad post-Al Qaîda, bien que celle-ci, par la seule faveur des attentats «historiques» du 11 septembre, garde toujours son statut de pilier de la guerre sainte contre l'Occident. La dernière vidéo d'Aymen El-Zawahiri démontre combien son organisation reste emblématique dans le djihad transnational, mais des jeunes groupes ont déjà pris la relève. L'auteur du double attentat contre les deux Tupolev russes est un groupe très nouveau sur la scène djihadiste, les «Brigade Istambouli», mais s'est révélé d'une précision mathématique dans son double attentat. Les membres de la direction d'Al Qaîda, aujourd'hui largement quinquagénaires, ont passé la main, et se contentent, avec plaisir, de voir que la relève est déjà là, mieux, les surclasse en matière de guérilla dans les villes et les grandes agglomérations. Le temps des actions menées en terre afghane fait déjà partie du passé, et les organisations d'aujourd'hui sont passées à de nouvelles mutations mieux adaptées et qui planifient et exécutent leurs plans en temps réel.