Tout donne lieu à croire que la nébuleuse terroriste est à nouveau opérationnelle. Les attentats - suicide combinés de Riyadh, s'ils reposent avec acuité la question de la lutte de la communauté internationale contre le terrorisme, n'en établissent pas moins, en filigrane, la responsabilité historique de l'Occident, en général, des Etats-Unis et de l'Arabie Saoudite, plus singulièrement, dans l'expansion et le renforcement de ce phénomène. Le terrorisme islamiste international n'est, certes, pas né du néant et s'est, tout au long de ces années, organisé, fortifié, à l'ombre du laxisme de l'Occident qui l'a nourri et hébergé, lui permettant de devenir quasi inexpugnable. De fait, l'Institut international d'études stratégiques de Londres (Iiss) estimait mardi, après l'attentat de Ryadh, implicitement revendiqué par l'organisation de Ben Laden, que le «réseau terroriste est puissant et son démantèlement pourra prendre une génération». Faut-il, dès lors, rappeler qu'Oussama Ben Laden, ancien agent notoire de la CIA, avant de devenir l'ennemi public n°1 des Etats-Unis, avait d'abord été leur créature, celui qui organisa les premières cellules de «moudjahidine» afghans contre l'occupation de l'Armée rouge russe. Ce sont encore les Etats-Unis qui le formèrent lui et ont formé et armé les fameuses phalanges afghanes qui, quelques années plus tard, sèmeront horreurs et désolation dans nombre de pays arabes, notamment en Algérie. Ce sont les Etats-Unis, par CIA interposée, qui ont semé les premières germes de ce qui allait devenir le terrorisme islamiste le plus barbare des temps modernes. Si les Etats-Unis prirent en charge l'aspect logistique (formation et armement notamment) des moudjahidine afghans - dont nombre d'entre eux se sont reconvertis dans le terrorisme, soit au niveau de leur pays d'origine, soit au niveau international - l'Arabie Saoudite s'est, pour sa part, chargée du financement et de la formation religieuse des «combattants de la foi» en Afghanistan. Les finances saoudiennes ajoutées au prosélytisme d'un wahhabisme rigoureux ont, pour beaucoup, contribué à la formation de fanatiques prêts à mourir pour la «cause». C'est du moins ce que Al-Qaîda a inculqué aux nombreux jeunes prêts au sacrifice de leur vie. Comme le montrent les attentats - suicide de mardi à Ryadh - au moins neuf kamikazes y ont pris part selon les services de sécurité saoudiens - ceux de New York du 11 septembre, dans lesquels plusieurs Saoudiens étaient impliqués, indiquent à tout le moins le point de non-retour atteint par ce terrorisme spécifique dont les objectifs réels demeurent, en fait, tout à fait obscurs. Le divorce entre Oussama Ben Laden, d'une part, Washington et Ryadh, de l'autre, aura eu le résultat de libérer cette violence latente de toute attache modératrice, laissant les fatwas doctrinaires faire leur oeuvre. Historiquement, les Etats-Unis et l'Arabie Saoudite restent les géniteurs d'Al-Qaîda, la Grande-Bretagne, qui a donné asile et refuge aux terroristes, leur a permis de se stabiliser et de se fortifier. Selon l'institut londonien déjà cité, Al-Qaîda pouvait «compter sur quelque 18000 terroristes potentiels (lesquels ont transité dans des camps d'entraînement en Afghanistan) avant la chute du régime des taliban». Entre-temps, à partir de Londres, de Berlin et de Stockholm notamment, l'organisation s'est efforcée de mettre en place une phalange terroriste transnationale, rendant en fait aujourd'hui problématique sa neutralisation. Longtemps, l'Algérie et l'Egypte, notamment, dont les populations étaient les victimes de s de terroristes, depuis, réfugiés en Europe, ont prêché dans le désert, non parce qu'on ne le entendait pas, mais parce que, à l'époque, dans les années 90, l'existence de ces cellules, n'était pas politiquement incorrecte, et surtout servait des desseins à tout le moins inavouables. Toutefois, le divorce entre les Etats-Unis et Ben Laden a donné à ce dernier d'échapper au contrôle de Washington et de s'engager dans un immense bras de fer avec son protecteur d'hier. Les attentats en 1998 contre les ambassades américaines à Nairobi et Dar Es Salam, ceux de New York contre les Tours jumelles, et contre le Pentagone à Washington, en 2001, ceux contre les complexes résidentiels à Ryadh, mardi, sont autant de points de repère dans la montée en puissance d'une organisation terroriste multinationale, Al-Qaîda, qui reste, affirme l'Institut d'études stratégiques de Londres, «...(Al-Qaîda ou son successeur ) une organisation terroriste transnationale dont le démantèlement prendra peut-être une génération». C'est dire donc l'envergure d'un groupe terroriste pouvant aujourd'hui se renouveler à volonté, d'autant qu'il dispose, ajoute l'Institut, «d'un flot de fonds échappant la plupart du temps à tout contrôle», alors que l'attrait du «Jihad», qui attire de nombreux jeunes en mal de vivre - lesquels espèrent trouver dans le «sacrifice» des opérations kamikazes une issue à leur avenir sans perspective - constitue pour Al-Qaîda un puissant appel aux candidats au martyre.. Américains et Saoudiens recueillent en fait les fruits amers de leur manipulation de l'Islam à des desseins politiques et stratégiques dont les retombées patentes sont d'avoir ouvert une plaie pour le monde et d'avoir diabolisé les peuples musulmans. Mais comme un retour de manivelle, Al-Qaîda, dont Américains et Saoudiens ont, quelque part, contribué à la puissance, se retourne aujourd'hui contre ses quasi-géniteurs, comme le montre le nouvel attentat - suicide de Ryadh.