Il a fini par dire ce que la communauté internationale n'a cessé de répéter depuis 17 mois. Le secrétaire général de l'ONU a créé l'événement en mettant les pieds dans le plat, estimant, dans une interview à la radio BBC, que «la décision américaine d'envahir l'Irak est illégale». Précisant sa pensée, Kofi Annan indique: «Je suis de ceux qui croient qu'il aurait dû y avoir une deuxième résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pour donner le feu vert à l'invasion des Etats-Unis qui a renversé le régime de Saddam Hussein». Il a fallu dix-sept mois au premier responsable des Nations unies pour dire et reconnaître ce que la communauté internationale n'a cessé de répéter depuis le déclenchement de la guerre en Irak par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, en mars 2003. Il était en effet temps qu'un aussi haut responsable de la diplomatie internationale reconnaisse que Washington a entraîné l'Irak dans une fuite en avant sanglante qui ne résout aucun des problèmes qui se posent à ce pays d'une part, d'autre part, le fait que toutes les justifications avancées par les Etats-Unis pour légitimer l'invasion et l'occupation de l'Irak, se sont avérées fausses par le fait qu'aucune arme de destruction massive n'a été découverte en Irak et qu'aucun lien n'a été trouvé entre le régime de Saddam Hussein et le terrorisme international comme l'ont laissé entendre de nombreux responsables américains lors des mois ayant précédé l'invasion. Enfonçant le clou, Kofi Annan a par ailleurs jugé «improbable» que l'Irak soit «capable d'organiser (comme prévu) des élections crédibles (en janvier 2005)» contrairement aux affirmations optimistes qu'affichaient le président américain George W.Bush et les responsables intérimaires américains, malgré la dégradation générale de la situation en Irak depuis plusieurs semaines et l'approche justement, de la date fatidique de cette première consultation électorale post-Saddam Hussein. Evidemment, les déclarations du secrétaire général de l'ONU ont donné lieu à une levée de boucliers de la part des Etats-Unis et de ses principaux alliés participant militairement à la pacification de l'Irak. Réagissant aux propos de Kofi Annan, le président américain George W.Bush a affirmé jeudi que l'ONU avait voté pour «intervenir en Irak» indiquant: «Les Nations unies ont examiné les mêmes renseignements que ceux que j'avais et ont conclu que Saddam Hussein représentait une menace. Le Conseil de sécurité a voté par 15 voix contre aucune pour que Saddam Hussein avoue, et désarme sous peine de faire face à de sérieuses conséquences», ajoutant «je pense que lorsque les organisations disent quelque chose il vaut mieux qu'elles le pensent». Certes, la résolution 1441, menaçant Saddam Hussein «de sérieuses conséquences» fut votée à l'unanimité des membres du Conseil de sécurité, or, M.Bush oublie de signaler qu'il n'y a jamais eu de vote à l'ONU autorisant l'invasion de l'Irak, ce que M.Annan, qualifie de «deuxième» vote, celui qui aurait alors rendu légale la guerre engagée contre l'Irak. D'ailleurs, face à l'opposition de Paris, Berlin et Moscou, Washington a dû retirer un projet de résolution autorisant la guerre en Irak. Aussi, face aux pressions et menaces de Washington, les Nations unies ont-elles été contraintes, quelques jours avant le début de la guerre, de rappeler de Bagdad la mission onusienne d'investigation de contrôle et de vérification du désarmement de l'Irak (Cocovinu) de même que son personnel se trouvant dans ce pays. Le fait est que les Etats-Unis ont engagé le monde dans une guerre dont les justifications de son déclenchement se sont avérées, après coup, sans fondement, d'autant plus qu'à l'époque, -en mars 2003, quelques jours avant la guerre-, seules la Grande-Bretagne de Tony Blair et l'Espagne de José Maria Aznar, partageaient le point de vue américain, alors que les grandes nations européennes, -l'Allemagne, la France et la Russie à leur tête-, étaient opposées à cette guerre qui ne s'imposait d'aucune façon et que rien ne justifiait Il est prouvé aujourd'hui que la dangerosité attribuée à Saddam Hussein était imaginaire et avait été délibérément surévaluée pour entraîner le monde dans une guerre qui, à l'évidence, est celle des seuls Etats-Unis appuyés par Londres et Madrid. Revenir sur cette question au moment où l'Irak s'enfonce dans le chaos -et une violence sans fin- est à tout le moins salutaire, car les déclarations de M.Annan remettent quelque part les choses à l'endroit. Sans doute, le président Bush -qui sera à New York la semaine prochaine pour l'ouverture de la 59e session de l'Assemblée générale de l'ONU- aura à s'expliquer sur les tenants de la guerre que les Etats-Unis ont engagé en Irak. De fait, le New York Time a publié jeudi un rapport confidentiel des services de renseignement américains, préparé pour le président Bush, selon lequel, trois scénarios sont prévisibles pour l'Irak d'ici la fin de 2005, indique le quotidien new-yorkais qui écrit: «le pire d'entre eux table sur une détérioration débouchant sur la guerre civile et le meilleur sur une stabilisation fragile de la situation politique, économique et de la sécurité». Et ce qui se passe actuellement préfigure le pire qu'autre chose. Reconnaissant mardi qu'il y «avait des actes de violences», le président Bush n'en affirma pas moins, contre toute évidence, que l'Irak «faisait route vers la démocratie». Une route vers la démocratie jonchée de cadavres d'innocents. Car ce sont les femmes et les enfants irakiens qui payent le prix fort de cette guerre imposée par la superpuissance américaine à leur pays.