Pourtant, sur ce dossier comme sur celui des réformes de la justice et de l'école, Bouteflika rejoint parfaitement les aspirations des démocrates algériens. Le débat sur les amendements proposés au code de la famille prend des allures de véritable bataille idéologique entre deux projets de société. Les islamistes qui sont montés au créneau depuis des semaines dans une tentative de bloquer le projet, n'hésitent pas à crier à l'occidentalisation de l'Algérie. Pour eux, les nouvelles dispositions introduites par la commission Boutarene ne visent ni plus ni moins que de porter atteinte aux valeurs morales de la société algérienne. Le MSP et El-Islah accusent ouvertement «des cercles laïcisants au sein du pouvoir» d'être à l'origine de ces amendements. Les critiques sont tellement acerbes qu'elles n'ont pas manqué de jeter le doute au sein de l'opinion nationale qui, pour l'heure, n'a d'autre choix que d'écouter les islamistes en l'absence d'une réaction des partis démocrates. Ces derniers se complaisent dans un silence bizarre, alors qu'une question centrale du projet de société qu'ils défendent est sur la place publique. Et pour preuve, le code de la famille en vigueur depuis 1984, est très régulièrement décrié par ces mêmes démocrates qui le considèrent comme symptomatique de l'archaïsme du régime. Cependant, au moment où le président de la République s'emploie à le réformer pour le rendre plus conforme aux exigences de notre époque, voilà que les démocrates fuient l'arène, laissant à l'Exécutif le soin de défendre un projet éminemment politique. Cet état de fait conduit à une situation, pour le moins, inquiétante. Alors que le gouvernement adopte un nouveau projet de code de la famille, on constate une effervescence sur la scène politique, avec en plus une véritable unanimité faite contre ledit projet. Il se dégage une impression d'impopularité manifeste des amendements proposés par la commission Boutarene. Or, il est clair que la réalité est tout autre. Objet d'une promesse électorale du président de la République, la réforme du code de la famille constitue l'une des revendications essentielles de l'Algérie profonde. Lors de l'annonce de sa candidature, le président de la République a été clair. «Je n'abrogerai pas le code, mais je veillerai à ce que les injustices envers la femme cessent», avait-il déclaré en substance. Sur ce point comme sur celui des réformes de la justice et de l'école, Bouteflika rejoint parfaitement les aspirations des démocrates algériens. Sous d'autres cieux, de tels dossiers sensibles auraient fait converger les efforts de nombreuses forces politiques modernistes pour montrer l'attachement de la majorité de la population au projet de société moderne. Cependant, en Algérie et pour des raisons bassement politiciennes, les démocrates ont laissé Bouteflika seul face à la mouvance islamiste. L'on se rappelle l'épisode de la réforme de l'école où, dès la publication du rapport de la Commission nationale de réforme du système éducatif, une levée de boucliers sans précédent a été constatée dans le camp islamiste qui a mis tout son poids dans la bataille, pour faire avorter la réforme. Une «commission bis» a même été mise sur pied pour torpiller le projet de Bouteflika. Au même moment, les démocrates, trop occupés à disserter sur les défauts du président, ont tout bonnement déserté le débat, laissant le terrain libre aux islamistes qui, à défaut d'avoir réussi à bloquer la réforme, ont retardé d'une année au moins son entrée en vigueur. Mais faut-il signaler que malgré les fortes résistances, la nouvelle école algérienne est bel et bien une réalité et, ce, au grand bonheur des parents d'élèves qui sont largement majoritaires à saluer la mue qualitative du système éducatif national. Pour le code de la famille, le même scénario semble se mettre en place. On assiste en effet à un tir groupé de la part des deux plus importantes formations politiques islamistes contre les amendements contenus dans le nouveau projet. Aucune personnalité démocrate n'a cru bon monter au créneau pour leur apporter la contradiction et démontrer, de fait, que les Algériens ne sont pas majoritairement conservateurs. La principale conséquence de cette situation très algérienne de débat à sens unique sera, sans doute, un report dans le temps de la réforme. Mais il est clair que le chef de l'Etat tiendra sa promesse électorale et le nouveau code verra le jour. L'on retiendra enfin, des cinq années de présidence de Bouteflika, qu'il aura été seul dans les grandes décisions qui engagent l'avenir de la nation. Non pas qu'il ait travaillé en solo, la mise sur pied de commissions témoigne d'une volonté de large concertation d'experts, mais il n'a pu bénéficier du soutien de ces forces politiques dites progressistes qui, manifestement ont raté le train de l'histoire.