«Comment je suis arrivé à Hollywood? Par le train!» John Ford Les Américains ont réussi à imposer partout l'american way of life. Leur principale arme de persuasion massive qui ne nécessite ni envoi de contingents ni bombardements intenses, c'est le cinéma. Et dans le cinéma, le genre qui leur est spécifique, c'est le western. Il n'y a pas une chaîne de télévision respectable qui ne mette pas à son programme au moins, un film ou une série de ce goût. Et le western a le goût des vieilles légendes: il ne vieillit pas. Il s'enrichit à chaque génération d'une nouvelle approche ou d'une pléïade de nouveaux comédiens qui lui enlèvent ses rides et lui conservent la saveur des contes pour enfants. Cette semaine, Arte a justement programmé un film qui date de 1939, Pacific Express, qui retrace un épisode de la construction de la voie ferrée, avec Barbara Stanwick, Joël McCrea et Akim Tamiroff: une affiche prestigieuse réalisée par un pionnier du cinéma, Cecil Blount De Mille. Qu'est ce qui fait la force du western? Le western est le genre dans lequel les Américains ont reconnu leur idéal de conquête. Dans le cadre de l'Amérique des pionniers, entre 1860 et 1890, il raconte la quête d'un individu ou d'une communauté. Dans la culture américaine, le western joue le même rôle que le roman d'apprentissage du XIXème siècle dans la culture européenne. Des chevauchées, des bagarres. Des hommes forts et courageux dans un paysage d'une sauvage austérité. La pure jeune fille, vierge, sage et forte ou celle qui a roulé sa bosse, qui finissent par épouser le héros. La sinistre canaille qui est prête à tout pour s'enrichir, une menace à la paix ambiante, incarnée par la guerre de sécession, les Indiens, les voleurs de bétail ou les cambrioleurs de banques, un salon où a échoué toute une faune commune aux paysages de l'Ouest: une entraîneuse de saloon au grand coeur qui sacrifie sa vie et un amour sans issue au bonheur du héros et qui se rachète définitivement dans le coeur du spectateur. Toutes les femmes sont ainsi dignes d'amour. Seuls les hommes peuvent être mauvais. On y trouve des paysages incomparables: immenses prairies de désert de rochers où s'accroche la ville en bois amibe primitive d'une civilisation. Des Indiens primitifs, bloqués dans une civilisation arriérée que seul l'Homme blanc peut faire évoluer dans le bon sens, par sa technologie. L'herbe pousse où son cheval a passé, il vient tout à la fois implanter son ordre moral et son ordre technique, indiscutablement liés, le premier garantissant le second. La sécurité matérielle des diligences, la protection des troupes fédérales et la construction des grandes voies ferrées importent moins que l'instauration de la justice et de son respect. La justice pour être efficace doit être extrême et expéditive, moins que le lynch cependant. Légitimant de la conquête de l'Ouest face à des Indiens violents jusque dans les années 1950, émerge ensuite le doute face à la diffusion des témoignages sur la violence de l'extermination des Indiens et l'exploitation des pionniers pauvres (Johnny Guitar, La flèche brisée, un homme nommé cheval). Le western se fait ensuite réflexion globale sur la violence constitutive de l'Amérique à l'aune de la guerre de Corée puis du Vietnam (L'homme de l'ouest, Il était une fois dans l'ouest, Les portes du paradis), avant que n'émerge la question de l'autre aux Etats-Unis, de l'altérité des noirs et des Indiens (Danse avec les loups, Impitoyable). L'évolution du western se lit à travers celle de John Wayne dans les films de John Ford. Du manichéisme du Ringo Kid de La chevauchée fantastique, (1939) au paternalisme bienveillant du capitaine, incarnant les valeurs traditionnelles de la cavalerie, dans La charge héroïque, (1949) jusqu'au paria de La prisonnière du désert, (1956) ou le Tom Doniphon de L'homme qui tua Liberty Valance (1961). Le western américain sera concurrencé par les Allemands qui imprimeront leur propre style à partir de l'accession d'Hitler au pouvoir puis par les Italiens qui lui donneront un nouveau look avec le western spaghetti.