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Le fond, la chute, le gluant
Decryptage de genre. Grandeur et décadence du western
Publié dans El Watan le 16 - 04 - 2011

Aux Oscars, aux Awards et aux Golden Globe, les frères Coen n'ont rien obtenu alors que leur film, True Grit (sorti en décembre 2010), y était annoncé comme l'un des favoris.
Les Coen peuvent se consoler, les westerns n'ont pas bonne presse auprès de ces manifestations élitistes et «branchées». John Ford a reçu quatre Oscars dans sa carrière. Pourtant aucun n'a sanctionné l'un de ses films pour lesquels il a été considéré comme le maître du western. En effet, c'est bien lui qui a sorti le genre de la médiocrité en réalisant, en 1939, l'inoubliable film La Chevauchée fantastique.
Toutefois, True Grit ne constitue nullement une innovation comme on était en droit de l'attendre de ses réalisateurs, qui nous ont éblouis par leur travail cinématographique antérieur et de la manière dont leur western était annoncé. L'histoire, quelque peu invraisemblable, de cette très jeune fille de quatorze ans qui entreprend de poursuivre l'assassin de son père en compagnie d'un marshall douteux et alcoolique, a déjà servi de scénario à un film réalisé en 1969 par Henry Hathaway sous le titre de Cent dollars pour un shérif.
On constate, en ayant regardé ce dernier, qu'il y a pratiquement une identification totale entre les deux, comme si les Coen avaient voulu rendre hommage à un grand réalisateur, naguère célébré par les Surréalistes. La seule différence notable entre les deux films réside dans l'éclairage volontairement obscurcissant et le décor moins «théâtre de boulevard» et moins «salon de fer» qui constituent la faiblesse de la plupart des westerns. Est-ce le western de trop qui vient officialiser tardivement la mort d'un genre qui a ravi notre enfance et notre jeunesse et que les Algériens de plusieurs générations, à l'instar de bien des habitants de la planète, ont adulé ? Ce genre recouvre une histoire riche et diverse qui se recoupe avec celle du XXe siècle et la montée en puissance des Etats-Unis d'Amérique, au plan économique, stratégique et symbolique.
Jusqu'en 1939, le western était cantonné dans un registre de curiosités locales, propres aux spécificités d'un public féru d'une littérature qui raconte des histoires se déroulant dans «l'Ouest sauvage», abritant toutes sortes d'individus, infréquentables mais si nécessaires à la colonisation, en perpétuel combat contre la nature et les Indiens spoliés, charriant des convois sur de vastes territoires sans foi ni loi. Témoins de cette période : The Great Train Robbery qui marque l'acte de naissance officiel du genre ; The Squaw Man de Cecil B.DeMille, premier pas vers la qualité ; La Caravane vers l'Ouest de Raoul Walsh, éloge de la colonisation ; Billy le Kid de King Vidor qui signale le début du désenchantement. Avec Stage Coach, John Ford va donner ses lettres de noblesse au western et ouvrir aux cinéastes des voies d'exploration du genre aussi vastes que les espaces.
Le western va alors évoluer irrésistiblement vers un âge d'or, facilement repérable dans les années cinquante et qui concentre une trentaine d'œuvres prodigieuses difficiles à hiérarchiser tant la qualité et la diversité des thèmes, des textes, des interprétations et des décors, vont au-delà d'un divertissement épisodique pour atteindre des niveaux identitaires et aborder une histoire revisitée dans ses moindres coins obscurs.
De Wagonmaster de John Ford (extension de l'occupation des terres indiennes) à Rio Bravo de Howard Hawks (huis clos d'un règlement de comptes entre Blancs) ; de La captive aux yeux clairs de Howard Hawks (l'innocence des premières rencontres avec les autochtones) à Coup de feu dans la Sierra de Sam Peckinpah (désenchantement des héros ringardisés par l'Ouest qui se capitalise), cette décennie prodigieuse nous a submergés de chefs-d'œuvre inoubliables. Actuellement, plusieurs d'entre eux passent sur des chaînes satellitaires, tels que Le Train sifflera trois fois, L'Homme des vallées perdues, L'Appât, La Prisonnière du désert, Les grands espaces, «3 h 10 pour Yuma, La Dernière chasse, L'Homme aux colts d'or qui ne sont pas cependant les plus représentatifs.
Arrive alors la période des reconstructeurs du genre. En tête de ce mouvement, un étranger, l'Italien Sergio Leone qui allait révolutionner le western, quoique ce ne fût pas évident au début, tant les puristes l'avaient accablé de tous les mots durs, l'accusant de violer un terrain de chasse gardé. Le «western spaghetti» n'est pas le moins infamant de ces mots. Il s'impose pourtant avec trois films majeurs dans lesquels les personnages sont montrés brut de décoffrage, sales et empoussiérés, peu loquaces, les gestes épurés à l'extrême. Sergio Leone introduit de nombreuses nouveautés : le non-dit, la grosseur du plan qui n'est plus un contre-champ mais une entité pleinement expressive, le regard «parlant» sur des sons beaucoup plus travaillés que les musiques mélodieuses et sirupeuses des westerns d'antan… La violence, portée à son paroxysme, est esthétisée. Il a fallu longtemps et quelques cinéastes importants pour faire changer l'opinion des critiques sur ces néo-westerns.
«Sans mes films, Kubrick n'aurait pas fait Orange mécanique, ni Sam Peckinpah La Horde Sauvage», pouvait affirmer Sergio Leone sans crainte d'être démenti, surtout pas par Clint Eastwood dont le meilleur western, Impitoyable, est dédié à Sergio Leone tandis que les suivants, Pale Rider et Josey Wales hors-la-loi, s'inscrivent dans la même perspective empruntée également dans Silverado de Lawrence Kasdan, «leonien» jusque dans les détails.
Auparavant, en 1970, date charnière dans le traitement cinématographique des Indiens par la réappropriation d'une de leurs victoires, Little Big Man d'Arthur Penn efface partiellement le paternalisme coupable et la compassion d'un John Ford versant, dans Les Cheyennes, des larmes amères sur les «native american». Partiellement, dans la mesure où le héros est un «visage pâle» (tout comme dans Avatar), l'œuvre accomplie par Arthur Penn demeure estimable, car il a convaincu les Américains des outrages commis envers un peuple dont on a détruit la culture pour qu'il n'ait, par la suite, aucune raison de se révolter. Mais c'est Sam Peckinpah qui a accompagné le western jusqu'à son crépuscule après l'avoir réveillé en pleine gloire pou lui infliger un coup sur la tête avec Coups de feu dans la Sierra (1962).
La facture est classique mais le contenu est une révolution. Les héros sont fatigués et le rêve américain s'est évaporé dans le désert de la frontière mexicaine, ne laissant que des désillusions à transmettre aux générations futures ! Apparaissent alors les anti-western. Il en existe deux types. D'abord ceux qui utilisent la forme pour y passer des idées qui n'ont rien de familier, avec l'esprit de reconstitution mythique d'un passé que l'on veut valoriser pour le présent à la manière de Homère chez les Grecs. Abraham Polonsky en fut le critique social dans Willy Boy et Richard Donner le contre-pied picaresque et crapuleux avec Maverick. Robert Mulligan se fait ainsi le dénonciateur de la confiscation identitaire de l'enfant indien dans L'Homme Sauvage. Elliot Silverstein introduit pour sa part, dans Cat Ballou, la stigmatisation ironique du héros sans peur, sans reproche et surtout sans alcool. Sur ces points, Abraham Polonsky donne une illustration sur les divergences des antiwestern avec les tenant du genre, en concluant que «John Ford se situe à l'intérieur du mythe tandis que moi, je l'observe de l'extérieur».
L'antiwestern politique a su trouver un tout petit créneau dans la jungle touffue des productions hollywoodiennes, qui vont tous et partout dans la revalorisation du mythe des pionniers fondateurs, bourrés de valeurs de liberté, de bien, de la famille et d'hommes intègres et de femmes aux petits mouchoirs. C'est Tom Horn de William Wiard qui met en exergue le rôle des défenseurs de la loi, tentés par la tyrannie face à des notables qui abdiquent leur libre arbitre, jusqu'à un certain point pour se débarrasser de bandits qu'ils ne peuvent combattre qu'avec des moyens qui les déshonorent.
Sommes-nous arrivés aujourd'hui à une fin de série ? Si les frères Coen ne sont pas parvenus à innover dans le western avec le tellement décevant True Grit, on ne voit aucun autre capable de le faire, sachant que le talentueux Lawrence Kasdan ne fut pas meilleur dans Wyatt Earp (1994). Il n'en demeure pas moins que, bon an mal an, un western sort sur les écrans comme un marronnier pour dire en quelque sorte : «cow-boy pas mort». En général, ce sont des œuvres qui répètent des merveilles du passé (Tombstone...) en les façonnant avec des techniques contemporaines et des analyses socioculturelles qui n'idéalisent pas cette époque, qu'on a voulu prodigieuse en glorifiant ses infâmies et qui, finalement, remettent les pendules de 3h10 pourYuma à l'heure.


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