La crise de la vallée du M'zab a déjà fait beaucoup de dégats Va-t-on laisser la métastase achever le bercail de Moufdi Zakaria, auteur de notre hymne national? Tout porte à le croire et si la thèse du complot, qu'il soit interne ou externe, peine à tenir debout, un problème majeur reste posé, celui du règlement de la crise de la vallée du M'zab qui ne semble intéresser personne. Tout le personnel politique s'est rendu à Ghardaïa: le Premier ministre, le Dgsn, des parlementaires, des chefs de partis, aussi bien de l'opposition que des partis du pouvoir, mais la crise continue à resurgir et entraîner, à chaque fois, des dégâts. Décidément, c'est parti pour durer. Après plusieurs semaines d'accalmie, les affrontements ont rebondi, comme pour signifier que la crise est toujours là et qu'elle est beaucoup plus profonde qu'elle n'en a l'air. En effet, bien des parties essaient d'expliquer la crise qui traverse la vallée du M'zab par la prolifération des problèmes de chômages, des conflits sur le foncier entre les tribus et tentent d'en réduire les contours politiques aux seules rivalités intertribales. C'est le cas de Farouk Ksentini et de Louisa Hanoune et de quelques ministres qui considéraient «qu'il faut améliorer la situation économique de la population de Ghardaïa» pour mettre fin à la crise. D'autres, dont le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, le secrétaire général du FLN, Amar Saâdani ainsi que le patron du RND, Abdelkader Bensalah, n'ont pas hésité à accuser des parties internes, notamment l'opposition regroupée au sein de la Cnldt, et externe, particulièrement les militants des droits de l'homme, d'être les exécutants d'un complot ourdi pour mettre le pays à feu et à sang. «Certains essaient de semer la fitna à Ghardaïa», avait déclaré en effet Abdelmalek Sellal en faisant allusion aux partis de l'opposition. D'autres, accentuant le schisme qui existe entre les deux communautés peuplant la vallée du M'zab, les Chaâmbis et les Mozabites, jouent la provocation en appelant à une séparation pure et simple des ethnies et la consécration de l'autonomie du M'zab. Ces trois positions qui ont été ardemment défendues par leurs auteurs, ont été largement relayées par les médias nationaux. Mais aucune d'entre elles n'a eu l'effet attendu sur le terrain, à savoir le règlement effectif de la crise de Ghardaïa. Pourquoi? Selon Abderezzak Dourari, professeur en sociolinguistique, auteur de plusieurs contributions sur la question, la réponse coule de source car, s'interroge-t-il, «comment imaginer que les Amazighophones se sentent toujours chez eux dans cet Etat, tout en ne leur reconnaissant ni leur langue ni leur culture? Comment imaginer que des Mozabites ibadites se sentent vraiment chez eux tout en refusant de reconnaître leur rite musulman ibadite et en leur imposant à l'école et dans tous les médias du pouvoir, le rite malékite (en fait le wahhabisme), comme doctrine de référence de l'Etat?» Abderezzak Dourari considère, en effet, tout en dénonçant l'essentialisme des conflits qui traversent la société ghardaouie, que la persistance de la crise de Ghardaïa, même si d'aucuns refusent de l'admettre, montre que ce modèle d'Etat en Algérie, «crisogène et parfaitement inadapté à la société algérienne différenciée, est à revoir en urgence sur ses fondements idéologiques». Le même point de vue est développé par Abderahmane Hadj Nacer, Mozabite, ex-patron de la Banque d'Algérie, auteur de La Martingale algérienne, réflexions sur une crise. Celui-ci en effet, estime qu'en plus des considérations culturelles, historiques, sociales et économiques, l'existence même d'une société qui a ses propres repères, ses propres institutions, est incompatible avec le modèle d'Etat jacobin en vigueur en Algérie. Une bonne partie de la solution réside donc, selon lui, dans la réforme de l'Etat. Bien d'autres intellectuels à l'image de Salah Debbouz, Mostefa Bouchachi, Ahmed Rouadjia, etc., développent un point de vue similaire. Néanmoins, la prédominance de ce point de vue parmi les élites intellectuelles n'a pas suffi pour que le pouvoir enclenche une dynamique de réforme de l'Etat. Dans la foulée, notamment avec l'éclatement du mouvement antigaz de schiste, un découpage administratif a été décidé dans l'objectif, a-t-on dit, «de rapprocher l'administration du citoyen». Mais jusque-là, rien de concret n'a été fait et la crise de Ghardaïa se réinvente continuellement avec, à chaque fois, un lots de morts et de blessés. Cette crise, bien que latente par endroits, en se prolongeant dans la durée, va sans doute finir par transformer la vallée du M'zab en une vraie pétaudière. Alors, à quand une prise en charge effective du problème de Ghardaïa? Va-t-on laisser cette métastase achever le bercail de Moufdi Zakaria, auteur de notre hymne national?