La justice est rendue au nom du peuple Nos magistrats ne rendent pas seulement la justice, ils trouvent aussi un malin plaisir à affirmer leur pouvoir. Le ministre de la Justice insiste sur la présomption d'innocence et rappelle à de multiples occasions que la détention préventive est une exception dans la loi algérienne. La liberté provisoire est la règle. Le président de la République n'a de cesse d'appeler à une justice qui fait la promotion des droits de l'homme et exige très officiellement la dépénalisation des actes de gestion. Les militants des droits de l'homme et des avocats qui ont eu à traiter les dossiers en rapport avec des affaires économiques, pestent contre la tendance qu'ont les magistrats à pratiquer abusivement la détention préventive. Le refus de la généralisation de cette règle d'exception dans le droit algérien ne date pas d'hier, mais remonte à plusieurs décennies déjà. Il y a un véritable consensus au sein de la société algérienne, entre politiques, intellectuels et autres acteurs de la société civile contre l'usage strictement répressif de la loi par les magistrats algériens. Tout le monde est d'accord, sauf les premiers concernés qui semblent sourds aux appels et persistent dans leur logique à considérer tous les justiciables comme coupables, jusqu'à preuve de leur innocence. Les affaires économiques constituent le gros des détentions préventives. Ainsi, une dénonciation, un simple faisceau d'indices, suffit au magistrat pour accabler le prévenu et le mettre en prison en attente de son procès. Laquelle attente peut durer des mois, voire des années. L'on a ainsi vu, dans les grands procès qui défrayent la chronique en ce mois de mai, des cadres d'administration ou d'entreprises publiques, croupir en prison durant des années avant de passer devant le juge. De quoi briser une vie. L'on se souvient à ce propos de la fameuse affaire du complexe d'El Hadjar où des cadres avaient connu plusieurs années de détention préventive avant d'être blanchis. L'issue de ce procès avait réveillé les consciences des Algériens, notamment des politiques et la détention préventive ainsi que la dépénalisation de l'acte de gestion avait été évoquées sur la place publique. Depuis, tout le monde réclame ces deux principes, sans que cela n'émeuve les magistrats qui n'ont pas bougé d'un iota. Abus de pouvoir Cette façon de disposer des vies humaines et les briser avec une simple signature apposée sur un document ont des répercussions dramatiques sur de très nombreuses familles algériennes et provoquent une peur bleue dans la communauté des managers des entreprises publiques. En effet, cette image répressive et sans pitié que dégagent certains magistrats, mais surtout l'incompétence à conduire des dossiers économiques pointus, freine les initiatives et amène des milliers de cadres algériens à se suffire de la gestion des affaires courantes. La tétanisation, largement constatée, de la scène économique publique est, en partie, la conséquence de l'ingérence de certains juges dans des affaires qui ne devraient pas les regarder. Mais force est de constater que jusqu'en 2015, des magistrats continuent d'être au centre du débat économique, le travestissant au point où l'on se demande comment de simples magistrats parviennent à avoir tout ce pouvoir. La réponse est dans la sacro-sainte indépendance de la justice. Les magistrats ne sont censés obéir qu'à leur conscience. Le ministre de la Justice est là pour donner les grandes orientations et sévir parmi les fonctionnaires corrompus et qui se montrent coupables d'abus d'autorité. Tayeb Louh fait très bien son travail à cet égard. L'on a, à titre d'exemple, cette magistrate qui a voulu s'approprier un immeuble où elle était simple locatrice. En usant de sa qualité de fonctionnaire de la justice, elle a fermé à ses victimes tout recours au tribunal. Mais cette personne a fini par être démasquée et le ministre a pris les mesures qui s'imposent la concernant. C'est dire que le magistrat corrompu n'a pas sa place dans l'institution judiciaire du pays. Mais la traque de la corruption ne peut justifier un quelconque dépassement de la tutelle. Celle-ci n'agit qu'en cas de preuves formelles. Or, la détention préventive qui se pratique, à une très large échelle, ne relève pas de la corruption. Le ministre de la Justice ne peut interférer dans la mission d'un magistrat et ne doit, en aucun cas, lui montrer son travail. Ce n'est pas une faille dans le système judiciaire algérien, c'est juste que certains magistrats ne font aucun cas de la personne humaine qu'ils ont en face d'eux et, pour n'avoir pas à courir après des cadres qui prendraient la fuite, ils nivellent par le bas et mettent tout le monde en prison en attendant le jugement. Pourtant, l'extradition de Abdelmoumen Khalifa montre que personne ne peut se soustraire à la justice. Dans la communauté, des magistrats ont expliqué cette pratique par la crainte d'être accusés de complicité avec les prévenus. Cela justifie-t-il un traitement aussi répressif, à telle enseigne que le citoyen a véritablement peur de se retrouver dans un tribunal? Le côté obscur Il faut dire que malgré les efforts de modernisation de l'institution, avec l'introduction des nouvelles technologies de l'information et la communication et la nette amélioration de l'accueil des citoyens justiciables, il reste que notre justice conserve un côté obscur qui ne peut relever de la responsabilité du ministre, ni du président de la République. Un côté obscur qui fait que beaucoup de juges usent et abusent de leur fonction qui en fait des personnes à part. Ils détiennent entre leurs mains le destin des citoyens, pour peu que ces derniers aient commis une faute de gestion ou un délit quelconque. Nos juges ne rendent pas seulement la justice, ils trouvent aussi un malin plaisir à affirmer leur pouvoir. Un pouvoir qu'ils tiennent de la Constitution, mais dont ils font ce qu'ils veulent à travers l'interprétation prioritairement répressive qu'ils font du droit. Cette omniprésence négative des magistrats déteint sur l'ensemble de la société qui ne voit pas la justice comme une institution protectrice, mais comme un outil de répression de l'Etat. Pourtant, dans toutes leurs sorties publiques, à l'occasion, les deux principaux responsables de l'institution judiciaire du pays, que sont le président de la République et le ministre de la Justice, insistent sur le rôle émancipateur de la justice. Ils sont certes entendus par de nombreux magistrats qui font honnêtement leur travail et tentent de ne pas laisser submerger leur ego et rendent le droit dans le respect de la dignité humaine. Mais force est de reconnaître néanmoins qu'il existe encore en Algérie des magistrats qui font tout pour contourner certains principes, tout en restant dans leurs droits. Ceux-là, sont à l'origine de cette nette impression qu'ont les Algériens que leur justice ne leur appartient pas encore totalement.