C'est devenu le grand combat pour les défenseurs algériens : imposer la présomption d'innocence, dépénaliser l'acte de gestion et éliminer des textes juridiques la détention préventive. Sur ce créneau, il y a en fait deux défenseurs qui mènent un combat depuis de nombreuses années, Me Miloud Brahimi, défenseur des droits de l'homme, et Farouk Kentini, président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH). Hier lundi à la radio nationale, un des champions de ce combat, Me Miloud Brahimi est revenu à la charge pour faire prévaloir la présomption d'innocence qui « n'est pas respectée » par les magistrats algériens. « Il est regrettable qu'on soit en 2015 et ce principe ne soit pas respecté ». « C'est bien que le ministre de la Justice en parle ; bienvenue pour la promotion de l'Etat de droit », a ironisé Me Brahimi selon lequel la détention préventive « est devenue un point alarmant ». « Ce qui est dans les textes une exception est devenu un principe, peu de gens échappent à la détention préventive », regrette-t-il estimant par ailleurs que « les textes sont bons, il ne faut pas les changer ». Pour lui « c'est un état d'esprit. Il faut que les magistrats soient formés pour qu'ils comprennent la liberté des citoyens, des stages doivent être orientés vers le principe de la liberté des citoyens ». « Nous avons l'impression, ajoute t-il, d'une hostilité de la justice envers le citoyen. Il y a un risque que le justiciable perde confiance en la justice de son pays à cause de cette tare qu'est le non respect de la présomption d'innocence ». Selon ce défenseur des droits de l'homme, « la présomption d'innocence est devenue une présomption de culpabilité en Algérie ». En outre, « la détention préventive renvoie parfois à des condamnations sans rapport avec la peine commise », explique-t-il avant d'affirmer que « la détention préventive est devenue une condamnation d'office. Le juge a tendance à condamner pour couvrir la détention préventive. C'est un préjudice à l'état de droit ». Actuellement, des gens sont détenus préventivement depuis cinq ans et « les juges ont tendance à les condamner parce qu'ils sont passés par la détention préventive ». Dans le même sillage, il a plaidé pour la suppression de l'ordonnance sur la prise de corps, un « texte barbare, une procédure héritée du droit français (supprimée en France en 2004). On doit supprimer au plus tôt ce texte de prise de corps ». Ce texte « est préjudiciable au fonctionnement de la justice. Il est plus simple de laisser les gens en liberté et les juger une fois le dossier ficelé ». Il cite ainsi des cas sur lesquels la Cour suprême a statué en annulant la condamnation de prévenus, mais qui n'ont pas été remis en liberté « alors qu'ils étaient censés être en liberté provisoire ». Pour lui « il serait infiniment plus simple de laisser les gens en liberté jusqu'à ce que les faits qui leurs sont reprochés soient confirmés ». Il cite en exemple l'affaire Sider qui s'est terminée par l'acquittement de tous les prévenus, une des personnes incriminées étant morte. CONFIER AUX JUGES L'ECONOMIE NATIONALE Pour autant, « des gens ont été mis en prison, et même avec un dédommagement matériel, il y a eu dilapidation du citoyen algérien », a-t-il déploré. Miloud Brahimi milite en fait pour une profonde réforme de la justice algérienne, rappelant que le rapport Issad « a été ignoré ». « La réforme de la justice est un tout qui va avec l'ensemble des institutions du pays. Tout doit aller vers la bonne direction », relève-t-il avant de faire remarquer qu'il faut « expliquer aux magistrats l'importance de la liberté des citoyens et les sensibiliser sur la dilapidation des libertés individuelles ». Revenant sur la dépénalisation de l'acte de gestion, il a relevé que le texte n'a pas été amendé. « On répète toujours la même chose, mais nous ne sommes pas entendus », déplore-t-il avant de rappeler que le président Bouteflika avait en 2011 appelé solennellement pour la dépénalisation de l'acte de gestion. « Malheureusement, en août 2011, il en a résulté une loi ridicule, qui botte en touche pour ne pas dépénaliser » l'acte de gestion. Et, « tant à confier à la justice le soin de contrôler la gestion économique, on n'a qu'a donner l'économie nationale aux juges, et qu'on n'en parle plus », a-t-il fait remarquer. Et puis « si un juge a le droit à l'erreur, il ne reconnaît pas à un opérateur de se tromper, et on lui donne le droit de statuer sur la liberté des gens parce qu'ils se sont trompés », déplore ce militant des droits l'homme pour qui il y a juste trois articles à supprimer pour dépénaliser l'acte de gestion : « il s'agit de l'article 29 de la loi 06-01 à réformer, et les articles 26 et 119 bis à supprimer ». Et il finit par accuser : « il y a des gens qui ont le projet de ne pas dépénaliser l'acte de gestion », avant de s'expliquer : « je ne protège pas les corrompus et la corruption, (il faut) simplement qu'on juge la corruption et qu'on soit très sévères contre le corrompus et les corrupteurs, on a une inflation de textes qui dépasse la corruption, qui amène à la condamnation de gens qui n'ont rien à voir dans les affaires » pour lesquelles ils sont poursuivis. « Il faut arrêter d'amuser la galerie », a-t-il conseillé aux décideurs de la justice algérienne, les incitant à accélérer la suppression des articles incriminés dans la dépénalisation de l'acte de gestion et appliquer et respecter seulement les textes en vigueur pour bannir une fois pour toutes la détention préventive et respecter la présomption d'innocence.