L'Assemblée serait-elle gagnée par la sinistrose ou serait-ce une démission pure et simple ? Absentéisme, dilettantisme, peu d'intérêt pour les textes de loi qui passent entre leurs mains, nos députés affichent une certaine désinvolture face au destin de la nation. La reprise de la session d'automne s'est faite dans une platitude déconcertante. Hormis les partis islamistes qui s'arrogent le droit de rappeler à l'ordre le gouvernement quand celui-ci «ose» transgresser les préceptes de l'Islam s'agissant du code de la famille, les autres sont aux abonnés absents. Celle qu'on affuble du qualificatif péjoratif de caisse enregistreuse n'a pas vraiment envie de faire de la résistance. L'amertume est générale. Le coup dur des élections a laissé des séquelles indélébiles. Il faut croire que certains de ceux que nous avons interrogés sur cet état de fait reconnaissent volontiers, selon un député qui a requis l'anonymat, qu' «il y a un manque d'organisation et de coordination entre les différents groupes parlementaires, nous ne ressentons même plus la nécessité de nous concerter. Nous travaillons sur des dossiers dont nous ne sommes pas toujours convaincus». Sur les 389 députés qui composent l'Assemblée, moins les deux qui n'ont pas été encore remplacés, le vieux parti majoritaire à l'APN compte à lui seul 202 députés. La vice-présidente du groupe parlementaire et membre de la commission des finances et du budget qui nous a reçu, hier, dans son bureau en a gros sur le coeur. D'emblée, elle reconnaît que l'absentéisme existe bel et bien mais souvent c'est son parti qui est visé par les critiques. «Nous formons la majorité à l'Assemblée, par conséquent, quand nos membres s'absentent, ils sont tout de suite remarqués d'autant plus que nous formons le gros des commissions qui, en ce moment, ont du pain sur la planche.» Cependant, elle ne cache pas son amertume s'agissant du rôle que joue réellement le député. «Nous nous retrouvons le plus clair de notre temps à gérer les affaires courantes des collectivités locales tels le logement, le chômage, la santé...etc. Les citoyens viennent nous voir croyant que nous possédons une baguette magique pour régler tous les problèmes alors que notre travail consiste à légiférer et à contrôler.» Elle s'attarde sur la notion de contrôle. «Il faut revoir le statut du député et du règlement intérieur de l'APN. Il faut impérativement définir cette notion de contrôle qui reste très floue. Quand nous demandons des comptes au gouvernement, notre requête reste au stade du voeu pieux. Il faut dire ce qu'il en est, à part la sécurité, les autres problèmes persistent. Nous sommes impuissants. Cet état de fait est démoralisant.» L'autre point sur lequel elle s'est longuement étalée concerne l'accueil qui leur est réservé par les autres institutions du pays. «Nous sommes très mal considérés. J'ai eu beaucoup de péripéties avec l'administration. Quand je me rends quelque part pour interpeller des responsables sur des préoccupations de tel ou tel citoyen, c'est à peine si je ne suis pas rabrouée quand on ne refuse pas carrément de me recevoir. Nos interpellations n'ont aucun écho. Il n'y a aucun retour. Il n'existe pas de volonté politique. Parfois on a l'impression que ce que nous entreprenons sont des coups d'épée dans l'eau. Nous remarquons que l'administration, sauf quand une action est politisée, emploie la politique de deux poids deux mesures» Elle ajoute en relatant une anecdote: «Une fois, j'ai été voir l'ancien wali d'Alger pour un abus de pouvoir contre des citoyens. Mon interpellation l'a énervé. Il m'a dit d'une manière sèche que je n'avais qu'à m'adresser au ministre pour me signifier qu'il n'a aucun compte à me rendre. Comment voulez-vous dans ce cas-là qu'on puisse faire notre travail et espérer des résultats probants.» Le chef du groupe parlementaire d'El Islah a également son mot à dire sur la question. «Il y a effectivement des absences répétées. Ce qui doit être une exception est devenue une règle. Pour notre part, nous pensons qu'il faut revoir les textes afin de les adapter à la réalité. Le statut du député présente énormément de failles. Au niveau du fonctionnement de l'Assemblée, beaucoup de lacunes frappent aux yeux. Le député représente le peuple. Le ministre doit trembler devant une question orale. Seulement c'est le contraire qui arrive. Comment voulez-vous que nous ne soyons pas démoralisés? L'administration nous traite mal. Nous sommes reçus comme des pestiférés. Pour avoir une audience avec un ministre, c'est la croix et la bannière. Et pour voir le chef de gouvernement ou le président, on peut toujours rêver. Voilà la réalité des députés. En outre on agite sur nos têtes la dissolution de l'APN comme une épée de Damoclès. Il y a même des agitateurs qui se mettent de la partie. Le parti de Amara Benyounès n'a même pas d'agrément et il se permet de revendiquer la dissolution de l'APN. La vérité, c'est qu'il a raté le train et il veut rattraper le dernier wagon. La seule manière de revaloriser le rôle du député est de le doter de ce pouvoir qu'il ne possède pas réellement. Il faut passer à un régime parlementaire. Ce qui est pratiquement utopique quand on voit que le président est en train de fortifier ses pouvoirs.»