De Mehri à Belkhadem, en passant par Benhamouda et Benflis, ils ont tous été descendus du piédestal à tour de rôle par la grâce du redressement qui ne finit pas. Depuis quelque temps, le FLN, encore lui, domine l'actualité politique du pays de par ce qu'il est possible d'appeler ses convulsions naturelles, tellement ce vieux parti en a vues depuis 1962 et, surtout, depuis 1988 année où il perdit violemment son monopole de la scène politique nationale. Se voulant solide et soudé lorsqu'il s'agit de faire face à des agressions venues de l'extérieur de ses murs, le FLN est en réalité - aussi - un parti qui s'écroule peu à peu, à l'intérieur de sa carapace, sous les coups incessants qu'il reçoit de ses propres militants. Oui, le FLN ne peut éviter de payer le prix fort des guerres, des combats et des complots que se mènent tantôt les uns contre les autres et que montent tantôt les uns au profit des autres. Sans cesse divisé en fonction des rapports de forces internes, souvent déchiré entre des clans, le FLN n'arrive plus à suivre le rythme de ses propres dissensions et, encore moins, à supporter l'intensité des désaccords qui le minent. Un petit rappel Jusqu'en 1988 pourtant, le vieux parti avait mené la belle vie. Il avait le monopole de la scène politique nationale, le monopole de la parole, le monopole de l'idée et même le monopole de l'intelligence. Il avait l'insigne honneur de proposer les présidents de ce pays. Une période d'or pour ceux qui y étaient responsables alors. A partir de la colère de la rue un 5 Octobre 1988 et pendant une décennie, le vieux parti a dû vider plusieurs lieux et se contenter de partager plusieurs champs avec quelques nouveaux venus. Cette seconde période alla de 1988 à 1998. Mais depuis l'arrivée de Bouteflika à nos jours, le FLN est passé progressivement à une nouvelle ère de domination, une autre belle vie, si l'on veut dire, mais pas seulement. Le FLN a souvent vu ses activités mêlées à celle du gouvernement du pays. Chose tout à fait «normale» du moment qu'il était le pourvoyeur du pays en présidents, en ministres, en cadres supérieurs et en cadres tout court. Son hégémonie était totale et indiscutable. La conformité à l'article 120 pour tout responsable dans tout secteur était un des marqueurs forts de la puissance et de la domination du FLN de l'époque. Lorsqu'on est dans le cas de partis de ce genre, il est aisé de mesurer la force du parti à travers sa stabilité. Or quelle meilleure mesure de cette stabilité que la longévité des responsables du parti eux-mêmes? L'expérience soviétique et celle des pays de l'Est de manière générale suffisent à cet effet. C'est donc à travers la durée de mandats des différents secrétaires généraux du FLN que nous pouvons décrypter l'évolution du FLN dans l'Algérie indépendante. Or, quiconque s'amuse à ce jeu, verra apparaître devant ses yeux une courbe de Gauss presque parfaite avec toutes les lectures qu'elle permet. La période des turbulences commence en 1996 lorsque certains responsables du FLN semblent avoir pris goût à la déstabilisation ininterrompue de leur parti. Peu importe que ceci soit appelé «coup d'Etat scientifique», «redressement» ou autre chose, l'essentiel c'est que ce nouveau comportement est devenu une véritable culture au sein du parti. Sur une période de 20 ans (de 1996 à 2015), il y a eu quatre «redressements» successifs. Durant cette même période, aucun SG du FLN n'a quitté son poste de manière normale. De Mehri à Belkhadem, en passant par Benhamouda et Benflis, ils ont tous été descendus du piédestal à tour de rôle par la grâce du redressement qui ne finit pas. C'est à croire que l'ex-parti unique, habitué à la non-alternance ne sait pas encore que l'on peut changer les responsables autrement que par les complots, les violences ou les «redressements». Il y a quelque chose qu'on appelle «alternance démocratique», que tout le monde appelle au FLN mais que nul n'encourage ni n'applique. Est-ce dû à l'histoire du parti lui-même qui a, longtemps, été parti unique et qui, donc ne sait pas réellement ce qu'est l'alternance? Très possible. Est-ce dû à autre chose? Il appartient aux responsables de ce parti et, avant eux, aux militants d'y réfléchir. Non seulement Saâdani a (temporaire-ment?) échappé au redressement mais, en plus, il a réussi, contre vents et marées, à tenir son congrès. Il a réussi à faire passer la proposition qui ramène le rythme de convocation du comité central de deux à une seule réunion par année. Saâdani a aussi réussi à évincer ses adversaires des structures dirigeantes du parti et il a, surtout, réussi à se faire introniser pour les cinq prochaines années. En apparence donc, c'est un bouquet de réalisations qui laisserait bien inquiet son frère ennemi et concurrent direct Belkhadem et tous ses opposants. Mais là n'est que l'apparence des choses car, en réalité, pour chacun de ces succès, le SG du FLN a versé un lourd tribut. Il a été obligé de faire ou de faire faire à son parti ou, pis encore, au pays une concession, au moins, mille fois beaucoup plus importante et aux conséquences autrement plus destructrices. Un congrès, généralement, c'est l'occasion de rassembler les rangs et de recoller les morceaux après les tempêtes passagères. En organisant le congrès au forceps sans aucune tentative de rassembler, l'actuel SG du FLN a accroché, sur la tête de son parti, un diplôme de dictature. La fuite en avant, choisie comme stratégie, ne résout pas le problème du FLN, elle ne fait que le repousser et le gonfler un peu plus.En réduisant les rencontres du CC à seulement une réunion annuelle, Saâdani semble obéir à des desseins qui le dépassent parce que, ainsi, il annihile tout espoir de voir le FLN devenir un parti de proposition. De cette manière, le débat ne semble plus utile désormais au sein du vieux parti qu'on veut certainement docile et applaudisseur. Il s'agira probablement dorénavant d'un appareil d'Etat, un appareil d'exécution alors qu'en principe, comme l'avait dit Ziari dans un entretien à un confrère, un parti «ne doit pas simplement agir en tant qu'appareil et comité de soutien à l'action gouvernementale».Mais les dégâts ne s'arrêtent pas là. Ils sont encore autrement plus importants car, en acceptant de réduire le débat au sein du FLN, Saâdani a piétiné les réalisations, même encore trop maigres, du pays en démocratie et tel un vent dévastateur, il a soufflé d'un coup les pétales des aspirations à des lendemains meilleurs. Sur ce plan, il nous fait faire donc un grand pas... en arrière. A quel prix? Le fait d'évincer ses adversaires des structures dirigeantes du FLN dévoile aussi l'autre prix payé par Saâdani qui n'a pas été rassembleur en préférant jeter, par-dessus la fenêtre de ses ambitions, une des valeurs traditionnelles du parti qui, malgré tout, n'a jamais mis les siens dehors de cette façon. Rappelons que même lorsqu'ils sont destitués, les responsables du FLN ont toujours gardé la place et la main là-haut. Ce faisant, Saâdani a planté les germes d'une nouvelle forme de contestation qui accompagnera indiscutablement ce parti jusqu'au prochain redressement car, maintenant, on le sait bien, c'est au rythme des redressements que le FLN se maintient en vie. De toutes les réussites de l'actuel SG du FLN, la plus marquante est certainement le fait qu'il ait réussi à faire germer l'idée de la création d'un nouveau parti, à partir des rangs mêmes des militants. Les adversaires, dépités, parlent de la création d'un «FLN, canal historique» comme l'a confié un Ziari pas très délicat avec les interventions qui ont accompagné le congrès qu'il remet en cause avec ses collègues. Par ailleurs, en prenant place sur le fauteuil de chef pour les prochaines années, nul n'est dupe, Saâdani a dû tisser des alliances à l'extérieur et au sein même du parti. Et comme on ne s'allie pas avec des perdants ou des faibles et comme les puissants et les gagnants du moment sont surtout ces nouveaux riches parvenus on ne sait comment sur nos têtes, la conclusion à tirer est simple. Elle n'a pas besoin de démonstration. La voix choisie par le SG du FLN risque d'être très dommageable pour la politique, pour l'éthique et pour le pays de manière générale. Si elle ne l'a pas été déjà! Voilà donc à quel prix Saâdani a pu passer, à travers et contre la colère de ses adversaires. Voilà à quel prix il a pu atteindre son objectif. Il est, certes, élu SG du FLN mais avec un panier de questions toutes aussi importantes les unes que les autres. Le FLN, est-il appelé à disparaître? Nombreux sont ceux qui considèrent que le sigle FLN appartient à l'Histoire commune des Algériens. Qu'il devra aller au musée afin d'être préservé des souillures des hommes et de leurs ambitions, souvent viles et toujours trop basses. Verra-t-on réellement une nouvelle formation sortir des rangs de ce parti, apparemment trop vieux pour accompagner les changements qui nous entourent et qui, pour donner l'illusion qu'il existe encore, essaie de se maintenir par les crises et les redressements? Les contestataires ont entamé, le jour même du Xe congrès des réunions et les concertations ont commencé dans le but de décider des actions à entreprendre car, au FLN, le redressement a fini par devenir une question d'honneur. N'est-il pas curieux, finalement, que ce soit le plus vieux parti qui connaisse le plus de perturbations et de crises? Cette situation n'est-elle pas due à son incapacité à s'adapter à une certaine démocratie à cause du fait qu'il ait toujours dirigé, seul et sans contestation? En principe, la discipline au sein de ce parti devrait être un modèle pour le reste des formations politiques nationales. Pourquoi est-ce que le FLN ne veut pas changer de méthode et continue-t-il à recourir, à chaque fois, au fameux «redressement»? En fin de compte, Saâdani a été élu. Mais est-ce que cela signifie-t-il pour autant que son objectif se limitait à cela? Lorsqu'on considère les conditions qui ont précédé puis accompagné la tenue du dernier congrès du FLN, on sent qu'il y a eu comme un coup de pouce dans le dos de Saâdani. Une main invisible comme disent les économistes. Et, autant la querelle interne au FLN est banale et habituelle, autant cette poussée favorable interpelle quant au véritable rôle à venir pour cet homme. Est-il attendu de lui seulement de faciliter la révision de la Constitution? N'importe qui aurait joué ce rôle à la tête du FLN et si tel était le cas, aucun soutien n'aurait été nécessaire. Le soutien de Bouteflika au Xe congrès ne se justifierait pas non plus. Pas dans ce cas, non! Est-ce que Saâdani est promis à une autre mission? On en a bien l'impression, surtout que nous savons combien chez nous les critères ne comptent jamais dans les choix des hommes. Mais quelle mission au juste? En attendant que le temps nous le dise, un jour, contentons-nous de souligner que la candidature de Saâdani à la présidence de la République est désormais possible et même envisageable! Le Xe congrès pourrait bien se dévoiler, ainsi, une rampe de lancement pour le SG du FLN. Et si c'était le cas?