Ce n'est pas sans raison si le Maroc, jusque-là parent-pauvre en matière de cinéma, se retrouve décrit aujourd'hui comme une véritable puissance cinématographique émergente dont le fonctionnement, notamment en matière de soutien et d'aide au cinéma, est présenté comme modèle à l'échelle du Maghreb. Si, aujourd'hui, le constat global permet de dire que le cinéma algérien est de retour après une dure éclipse, que le 7ème art tunisien résiste et que celui marocain vit une véritable embellie, cela est dû à un véritable jeu d'alternance. Pour Mohammed Bakrim, si le Maroc se retrouve décrit aujourd'hui par ses autres voisins comme une véritable puissance cinématographique émergente dont le fonctionnement, notamment en matière de soutien et d'aide au cinéma, est présenté comme modèle, ce n'est donc pas sans raison. C'est un tournant inédit, estime le critique de cinéma marocain: «Les cinéphiles se souviennent, en effet, que le Maghreb cinématographique fut, pendant les décennies 60 et 70, une affaire algérienne. Une semaine de cinéma algérien organisée à Rabat au début des années 70 avait plus que séduit. Le Charbonnier de Mohamed Bouamari était pour de nombreux jeunes cinéphiles marocains, une véritable révélation. C'était la concrétisation de ce cinéma alternatif qui allait atteindre les cimes avec la Palme d'or attribuée en 1975 à Mohamed Lakhdar Hamina pour Chroniques des années de braise et l'éclatant succès remporté par Omar Gatlato de Merzak Allouache.» Un cinéma algérien porté par un secteur public qui a fini par dévoiler ses limites au moment où il jeta le bébé avec l'eau du bain à l'instigation d'une ouverture économique particulièrement sauvage. De l'avis même de mon confrère Tahar Chikhaoui, le cinéma tunisien prendra le relais durant les années 1980 grâce à des oeuvres perspicaces. Des réalisateurs comme Abdellatif Ben Ammar avec Sejnane, Nouri Bouzid avec Les Sabots d'or, Mahmoud Benmahmoud avec Chiche Khan, Moufida Tlatli avec Les Silences du Palais et Férid Boughedir avec Halfaouine finiront par forcer le respect grâce à un cinéma de qualité mais aussi à des producteurs de talent à l'image du regretté Ahmed Baha Eddine Attia. Progressivement, mais sûrement, le cinéma marocain n'allait pas tarder à relever le défi. Les signes avant-coureurs remontent à l'année 1991. Un amour à Casablanca de Abdelkader Lagtaâ, A la Recherche du mari de ma femme de Mohammed Abderrahmane Tazi, Mektoub et Ali Zaoua de Nabil Ayouch, Les Amis d'hier de Hassan Benjelloun et Mille mois de Faouzi Bensaïdi contribueront grandement alors à la réussite de la production cinématographique marocaine dont la bonne santé a été rendue possible grâce à l'existence d'une volonté publique de promouvoir le cinéma illustrée par le Fonds d'aide et à une thématique ancrée dans l'horizon d'attente du spectateur marocain que Mohammed Bakrim qualifie par le concept du «scénario de proximité». Un énoncé qui n'ira pas sans provoquer l'ire des forces conservatrices du royaume à la suite de la sortie tonitruante de Much loved. Pour Nabil Ayouch, son réalisateur, l'accusation qui en découle est par trop facile, tant elle laisse croire que «mon film n'est que dans la provocation et dans une vision sensationnaliste de la réalité. C'est tout le contraire. Mon film montre un vrai problème de société en parlant de ces femmes prostituées que l'on juge et condamne alors qu'elles sont une source de revenus pour énormément de familles. Je parle de leurs conditions de vie, j'en appelle au respect et à un changement de regard qu'on se doit d'opérer sur elles». L'immense succès remporté par le cinéma marocain à l'occasion du Festival culturel d'Alger du film maghrébin traduit bien cette dynamique du champ cinématographique chérifien. Une ascendance sensiblement éclairée par le Grand Prix remporté cette année au Festival du film arabe d'Oran par L'Orchestre des aveugles de Mohammed Mouftakir. [email protected]