Le recteur de la mosquée de Paris explique la nature du conflit au sein du CFCM qu'il préside. Alors que l'échéance pour l'élection du nouveau président du Cfcm approche, le président en exercice, M.Boubekeur, se dit «perdant d'avance». Aujourd'hui, ceux qui le soutiennent au sein du Conseil ne représentent qu'une minorité. Ses deux principaux adversaires (d'origine marocaine), Mohamed Bechari, représentant de la Fédération nationale des musulmans de France (Fnmf), et Fouad Alaoui, secrétaire de l'Union des organisations islamiques de France (Uoif), tous deux proches des frères musulmans, promettent son exclusion du Cfcm. Pour connaître les tenants et aboutissants de cette affaire, nous nous sommes rapprochés de M.Boubekeur. Lors de cet entretien, il nous explique la nature du conflit au sein de l'institution qu'il préside, sa position concernant la dernière sortie médiatique d'Abassi Madani, ainsi que d'autres questions d'actualité. L'Expression: Vous avez déclaré, M.Boubekeur, que vous ne vouliez plus faire partie du Cfcm. Pourquoi avoir pris cette décision? Dalil Boubekeur:Il y a bien longtemps que j'ai exprimé mon amertume concernant cette fonction. La preuve est que j'ai donné ma démission à plusieurs reprises. Maintenant, pour ce qui est du conflit au sein du Cfcm, je dirais que tant que les critères retenus pour l'élection des délégués ne sont pas respectés, cela renforcera la présence des islamistes et engendrera plus de fondamentalisme. Sachez que ceux qui me soutiennent ne sont pas des intégristes. Ils sont pour un Islam tolérant qui respecte les institutions de la République française. Ils ne font donc pas de militantisme. Si aujourd'hui les islamistes s'acharnent sur moi, c'est parce qu'ils veulent le pouvoir pour imposer un islam qui n'est pas le nôtre, un Islam wahhabite avec une forte charge politicienne.Cependant, pour ce qui est de ma réélection à la présidence du Cfcm, je considère qu'elle est déjà vouée à l'échec étant donné que le courant auquel j'appartiens est minoritaire au sein du Conseil. Ces derniers temps, la France est confrontée à l'affaire des deux journalistes français, détenus comme otages en Irak. Selon vous, pourquoi les ravisseurs ont conditionné la libération des deux otages par le rejet de la loi sur les signes religieux, même si le gouvernement français n'a pas envoyé des troupes en Irak. Pourquoi cet acharnement contre la France? Il s'agit peut-être d'ennemis de la France, à commencer par le gouvernement irakien, dont M.Alaoui n'aime pas beaucoup ce pays. Ces gens-là veulent impliquer la République française dans le chaudron irakien. Toutefois, il faut signaler qu'il y a énormément de musulmans qui sont partis de France et ont développé une propagande affirmant que la France va interdire le foulard, ce qui est archifaux. Comment appréciez-vous l'adoption de la loi sur les signes religieux dans un pays reconnaissant les droits de l'Homme? Dans le malikisme, le voile est une prescription dans toutes les écoles. S'agissant maintenant de la loi sur les signes religieux, je trouve qu'elle ne pose aucun problème pour nos soeurs. Au contraire, elles ont su très bien s'adapter à la laïcité et à la modernité. Aujourd'hui, on est confronté à un fondamentalisme qui va crescendo. On a besoin de baliser le terrain pour mieux l'affronter. Pour ce faire, il est important de signaler que la loi que vous avez évoquée ne dépend pas de moi, mais de l'Etat français. Il faut par conséquent la respecter. Plusieurs chaînes de télévision ont montré Abassi Madani en compagnie de Mohamed Bechari à Damas. Comment interprétez-vous ce rapprochement? En réagissant de cette façon, Mohamed Bechari vient de commettre deux erreurs fatales. La première est sa rencontre avec le parti Hezbollah et la seconde, lorsqu'il s'est entretenu avec Abassi Madani. Je considère que les images montrées à la télévision sont une véritable gifle et une provocation à toutes les victimes du terrorisme. Pour ce qui concerne la grève de la faim d'Abassi Madani pour obtenir la libération des deux journalistes, otages en Irak, elle n'est en réalité destinée qu'à gagner un séjour en France. L'adhésion de la Turquie à l'Union européenne suscite beaucoup de polémiques, notamment pour des considérations religieuses. Qu'en pensez-vous? La Turquie est réellement européenne. Elle a bien adopté la laïcité et la modernité. Je pense que le caractère laïque de l'Etat turc constitue un sérieux avantage pour son adhésion à la communauté européenne. Cependant, je ne crois pas que cette même adhésion puisse représenter un quelconque danger pour la communauté européenne. Je dirais que c'est plutôt la politique américaine qui, avec sa maladresse (l'envahissement contre l'Irak, la guerre au Proche-Orient) représente le vrai danger. Les Etats-Unis font tout pour ternir l'image de l'Islam.