Les débrayages non-stop, les menaces de grève, les tensions sociales et les turbulences professionnelles, notamment dans les secteurs de la Santé et de l'Education sont venues perturber la grande embellie financière qui est venue à la rescousse de l'Etat, et dont les hydrocarbures constituent la manne. Les 36 milliards de dollars de recettes enregistrés durant les huit premiers mois de l'année peuvent atteindre un pic jamais égalé depuis l'indépendance de 50 milliards en une seule année. Evidemment, cet exceptionnel pactole a eu l'effet immédiat de rendre l'Algérie plus fréquentable. Car, soyons sérieux, en matière de politique et de relations internationales, trois choses déterminent le rang et imposent le respect : la puissance militaire, l'aisance économique ou financière, et la haute technologie (qui permettrait l'un ou l'autre des premiers atouts). Un lourd portail en fer renforcé se referme donc pour les puissances occidentales sur tout ce qui constituait dans un passé récent des motifs à lacérer l'Algérie concernant ses manquements en matière des droits de l'homme, d'ouverture des espaces politiques et médiatiques ou de démocratie de manière générale. Aujourd'hui, le problème paraît autrement plus compliqué que lorsque l'Etat manifestait son impuissance à trouver des solutions aux tensions sociales, dues à l'indigence et à la paupérisation qui en constituaient le soubassement. Avec plus d'argent à débourser et plus de liquidités à portée de main, le gouvernement Ouyahia ne semble pas encore en mesure d'assurer une couverture sociale décente à tous. Le Grand Sud algérien, gage de sérénité et d'attraction touristique, s'est réveillé depuis 2003 au rythme de la contestation sociale. Pour les jeunes du Sud, longtemps marginalisés, le temps est venu pour revendiquer, contester et remettre en question. A Illizi, Ouargla, Ghardaïa, Laghouat, Labiod Sidi Chikh ou Tamanrasset, la «révolte des marginaux» a poussé la jeunesse déshéritée à la destruction et à la dévastation. Pourtant, c'est à l'Etat de trouver les articulations qui feront reculer la menace des tensions sociales. L'argent dans ce cas existe, et peut comme il se doit résoudre les petites crises. Le président de la République a entrepris depuis deux mois un mouvement de fond qui est en train de toucher l'essentiel de la classe dirigeante en Algérie, des managers et des chefs d'entreprises étatiques. Près de 350 élus d'APC, que le peuple avait choisis pour gérer la cité au quotidien sont aujourd'hui déférés devant les tribunaux. Cela dénote au moins que le problème politique et social de Bouteflika n'est pas encore opérationnel, et qu'il faut un certain «assainissement» pour le voir appliqué sur le terrain et en juger les résultats. Cela dénote en outre que des blocages bureaucratiques persistent, que la corruption réduit à néant tout espoir de relance et que ceux qui sont chargés d'appliquer le programme de développement mettent moins de coeur à l'ouvrage que celui qui l'a conçu. En voici un exemple : on sait avec enthousiasme que le président de la République avait promis de reloger les sinistrés du séisme de Boumerdès. En trois étapes: les tentes, les chalets puis le logement bâti. Après sept mois de vie sous la tente, le chalet est venu remplacer la bâche et la boue. Aujourd'hui, les projets lancés dans toute la wilaya, au nombre de dix, accusent un retard considérable. Les deux sites les plus avancés sont ceux dits des 300 logements sis à Corso, et de Khemis El-Khechna. L'état d'avancement de ces deux sites ne dépasse pas les 25%. Pour les huit autres, les choses restent au point mort. En termes clairs, les 3550 logements promis aux citoyens attendent d'être réalisés et l'attente risque encore d'être longue. Le risque, aujourd'hui, peut pointer à tout moment du côté de la contestation sociale, car sur les autres fronts, l'Etat joue sur du velours. Les principaux adversaires politiques, militaires et médiatiques du Président ont été neutralisés et l'opposition qui gesticule de temps à autre connaît ses limites dans la conjoncture actuelle. Aussi, tenté peut-être par un hégémonisme politique sans partage, l'Etat peut se permettre des excès comme il arrive à chaque fois où le pouvoir se trouve concentré chez une classe. Mais c'est certainement vers une paix sociale que le président de la République se tournera pour mieux mener à terme, dans le calme, ses grands chantiers de réforme. Car pour le moment, en l'absence d'une opposition politique active, d'un mouvement associatif sérieux ou d'une presse réellement influente, le pacte social, non pas uniquement avec l'Ugta, mais avec la société, la masse de jeunesse des quartiers déshérités reste le meilleur gagnant pour l'exercice serein d'un second mandat.