Une guerre longue et coûteuse, sans règles et sans armées précises se dessine sous les yeux des stratèges américains. Nous assistons depuis quelques mois à de nouvelles mutations, faites dans la douleur, par l'islamisme politique, et qui en fait, annoncent à la fois, le refus du duopole américano-israélien et l'émergence d'une nouvelle forme de résistance aux hégémonismes: le terrorisme de masse. La formule est nouvelle et les résultats, au niveau planétaire, sont déjà là pour prouver l'efficacité tragique de cette nouvelle forme de guerre, jusque-là inconnue dans les annales de l'histoire des conflits. La résistance irakienne, dirigée par des groupes djihadistes, est aujourd'hui la plus manifeste représentation de cette guerre, qui oppose en réalité, deux forces dont les moyens, les techniques et les effectifs sont disproportionnés l'une par rapport à l'autre. C'est une guerre sans règles, sans visage, sans objectifs clairs qui est menée par les résistants. De nouvelles armes sont apparues, et qui font peur aux hégémonies militaires: le rapt, le marchandage d'otages, la vidéo et l'attentat suicide. Dans le Sahara algérien avec l'affaire des trente-deux otages kidnappés par le Gspc, dans la bande de Gaza, en Irak, en Russie, en Tchétchénie ou en Arabie, le terrorisme de masse fait florès. Aujourd'hui parler de groupes armés ou essayer de limiter la violence terroriste aux seuls groupes armés connus relève de l'utopie. Lorsqu'un djihad est lancé, c'est presque tout le monde qui souscrit à l'appel et le terroriste potentiel n'est même plus l'islamiste convaincu mais un peu Monsieur Tout-le-monde de la grande masse des musulmans. Des femmes ont fait partie de la prise d'otages d'Ossétie, des jeunes filles et des adolescents palestiniens se sont fait sauter auprès de barrages israéliens, de vénérables vieillards font partie des groupes de soutien du Gspc et d'adorables mamans font partie elles aussi du groupe islamique combattant marocain et de la tendance des ultras salafiya djihadiya du royaume chérifien. Les troupes militaires américaines qui sillonnent l'Afghanistan et le Waziristan pakistanais savent bien qu'elles sont en zone hostile et que personne, même ceux qu'elles paient grâcement, ne leur dira tout à propos des mouvements des Talibans et des caches secrètes des principaux leaders d'Al Qaîda. Cette forme de guérilla - appelons-là stratégie du désespoir - a ciblé jusque-là deux formes d'hégémonie: l'américano-israélienne et la soviétique. Cela n'est pas fortuit, on s'en doute, et il est heureux qu'elle ait encore évité de s'en prendre à des pays comme la France, l'Allemagne, l'Italie ou la Grande-Bretagne. Les deux premiers ont depuis fort longtemps adopté une politique arabe et musulmane efficace. Le troisième, rien que pour les déclarations de Berlusconi, risque de connaître des attentats à la première occasion qui se présentera aux cellules djihadistes. Le Royaume-Uni a été préservé jusque-là grâce à une seule chose : la présence de leaders islamistes sur son territoire et dont le poids auprès des groupes armés situés loin du Royaume est certain. Le gouvernement Sharon sait combien est précaire la paix avec, en face ce terrorisme de masse qui peut frapper n'importe quand, n'importe qui, n'importe quoi et avec n'importe quelle arme. Poutine aussi. La résistance qui les cible pose de vrais problèmes, peut-être avec des bombes et des formes que la communauté internationale désapprouve, mais ni Poutine ni Sharon ne reconnaissent à la résistance le droit à une autre forme d'expression. Paradoxalement, Washington soutient l'un et l'autre de ces hommes et renforce l'idée que les grandes puissances sont les premiers pourvoyeurs mondiaux du terrorisme et ce qui donnent de quoi alimenter, se constituer et se renforcer l'idéologie du djihad, qui, en dernier recours, reste une stratégie du désespoir. La stratégie du désespoir n'est pas un choix fait dans la joie ni une idéologie réfléchie, mais bien un choix dans l'urgence et une forme extrême, située à la périphérie de la vie normale elle-même. Le terrorisme de masse, malheureusement pour ses cibles, ne reconnaît pas le droit à la vie et se pose comme le champion du raccourci pour l'au-delà. La mort à portée de main ! Voilà ce qu'il promet, et il faut convenir encore qu'il n'est qu'à ses formes primaires et que Dieu seul sait quels nouveaux visages il prendra demain. La résistance en Irak a été telle que le commandement militaire US a dû reconnaître que tout le monde y participe, y compris les adolescents. Et si l'administration Bush continue à focaliser sur Abou Mossaâb Ezzerkaoui et les groupes djihadistes tels «Tawhid wal djihad», «les Etendards noirs», «Brigades d'Abou Bakr», «Ansar Essouna», etc. C'est qu'elle n'a pas d'autre choix pour donner au moins une raison à sa présence en Irak. Demain, le même symptôme apparaîtra en Egypte, au Mali, au Niger, en Malaisie, au Maroc, en Algérie ou au Yémen, et les Etats-Unis ne pourraient y faire face. Le terrorisme de masse est coûteux pour ceux qui le combattent, insidieux, opaque et ses résultats jamais connus d'avance. C'est la stratégie de l'invisible et de l'illisible, qui n'a pas d'armée ni d'objectifs clairs à atteindre à court terme. Elle a le temps pour elle et joue l'usure, elle ne reconnaît pas de règles dans la guerre ni de compromis dans le combat. Ce qui se passe aujourd'hui en Irak prélude de ce qui peut advenir demain. Le rapt, le chantage, l'attaque suicide, la cassette-vidéo et l'implication des médias sont déjà un avant-goût. Aucune guerre qui dure n'est une victoire pour les victorieux, car son coût aura déjà réduit toute intention de s'en réjouir. Comme Les Oiseaux d'Alfred Hitchcock, l'islamisme politique est aujourd'hui une expression agressive de la religion, une pathologie de l'islam, et plus, nous assistons à la montée des hégémonies, hostiles au monde arabo-musulman, plus cette agressivité sera prononcée, appuyée et menée à son paroxysme. Le terrorisme de masse se pose déjà comme une première réponse à l'hyperhégémonisme.