Véritables amateurs de friandises orientales, les Algériens continuent à perpétuer une tradition gastronomique venue du lointain Orient. Rouge, brun doré, jaune, orange...bref, il faut dire que seul le caméléon détient le secret, naturel qu'il soit, de manier habilement autant de couleurs. Entouré de ses cocotes bruissantes, Ferhat dont la célérité du mouvement illustre de sa maîtrise d'un métier qu'il dit exercer depuis son jeune âge, y déverse, en un geste presque machinal, la pâte rougeâtre. Les cinq minutes passées, le pâtissier presse le pas pour retirer de ses marmites de fortune les dizaines de pièces de la zlabia, toutes brûlantes, qu'il étale, soigneusement, sur la table de sa boutique déjà garnie par d'autres produits aussi bien succulents. Ferhat Ghanem est un Tunisien issu d'une famille qui tient, depuis l'indépendance en 1962, un magasin de pâtisserie orientale à la longue avenue Asselah Hocine en plein centre d'Alger. C'est un orfèvre en la matière. Il veille au grain pour satisfaire sa clientèle qu'il affirme, non sans vanité, fidèle et nombreuse. Et pour ce faire, ce monsieur ne manque pas d'imagination. La zlabia qu'il propose, il tient à sa variété mais aussi à sa qualité. A l'intérieur de son local, on y «croise» de toutes sortes, de toutes les couleurs aussi: ronde, longue, en forme de cigares qu'on appelle communément «Sbâa Laâroussa» (le doigt de la mariée), en forme de fraise, de banane...la diversité tient, selon lui, à la particularité et aux rites culinaires de chaque région du pays. Les gens de l'Est, ceux de Sétif à titre d'exemple, affichent une préférence pour la zlabia brune, faite à base de semoule, de miel et de sucre. Les habitants de l'Algérois, quant à eux, sont connus pour être friands des produits faits à base de farine comme la zlabia ronde de couleur jaune ou orange...ceux de l'Ouest, les Oranais plus particulièrement, se distinguent par leur appréciation de ce qu'ils appellent fièrement d'ailleurs, la banane zlabia, qui, comme son nom l'indique, a la forme du fruit exotique. En clair, le penchant des Algériens pour ce «fruit» oriental a fait que dans chaque magasin s'offre, aux yeux des consommateurs, une nuée de produits aussi divers que variés face auxquels il est difficile de rester insensible. De Peshawar à Alger En effet, comme à chaque mois de Ramadan, l'effervescence culinaire aidant, les citoyens, plus «boulimiques» qu'avant, se ruent massivement sur cet article. D'autant que de nouveaux modèles de zlabia sont conçus au fur et à mesure: «Les gens sont très sensibles à la variété. Ils n'hésiteront pas une seconde à en acquérir» remarque, le «Zlabedji» pour qui cette denrée demeure, à ce jour, un produit qui reflète, on ne peut mieux, la particularité de notre région. Là aussi, Ferhat ne manque pas d'arguments. Car selon lui, l'origine de la zlabia remonte à l'ère des Abbassides. Epoque où un juif restaurateur en Syrie, pour récupérer les restes des galettes qu'il cuisinait, les transformait, après cuisson, en un produit qui a fini, à travers les siècles, par s'imposer comme un rite gastronomique marquant la région du Moyen-Orient et le Maghreb. L'idée selon laquelle cet aliment a pris naissance en Turquie ou en Tunisie «n'a rien de fondé» puisque ces mêmes pays ont hérité sa préparation de la Syrie en particulier. D'autres gastronomes, toujours d'après Ferhat, privilégient la piste de l'Inde et du sud. Une région où l'on continue, à ce jour, de consommer, en masse, la zlabia: «Jusqu'à aujourd'hui, les Pakistanais la prennent [zlabia] au petit déjeuner» nous apprend notre interlocuteur. Mais le plus intriguant dans tout ça est qu'en Algérie la zlabia n'a vu le jour qu'à la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Pour certains comme Ferhat, l'apparition de la zlabia coïncide avec l'émigration des Tunisiens en Algérie. Elle a été vendue, pour la première fois, soutient M.Ghanem, en 1910 précisément à la rue de la Lyre, au pied de la Casbah à Alger, par un marchand tunisien. «Le succès le fut rapide. Et la ruée des gens aussi». Progressivement, les marchands ont proliféré dans tout le pays. Et depuis, les Algériens ont pris le relais et ont appris à préparer ce «fruit» oriental. Arabe ou juive, hindoue ou pakistanaise, on peut dire que la séculaire zlabia a pu résister aux vicissitudes du temps pour devenir, ainsi, pour les Algériens comme les autres peuples arabes un produit particulièrement prisé en ce mois sacré. Sur la table qui fait office de vitrine du magasin de Ferhat, les divers types de zlabia sont agréablement présentés. D'autant que les prix, n'ont connu, en dépit de la pénurie d'huile de table qui sévit depuis le début du Ramadan, qu'une légère hausse «sans conséquences majeures» sur les capacités des ménages algériens. Actuellement les prix des différents produits oscillent entre 120 et 140 DA. «A Boufarik, on respire la zlabia» Distante d'une trentaine de kilomètres au sud-ouest d'Alger, la ville de Boufarik incarne dûment le statut de pays de la zlabia. Ses rues, ses ruelles et ses boulevards se sont transformés pour la circonstance, en d'interminables chaînes de production parfaitement achalandées. Consommer la zlabia est, pour les habitants de la cette ville de la Mitidja, perçu comme un deuxième réflexe. Dès midi passé, les gens se précipitent aux abords des magasins et s'approvisionnent en masse. «A Boufarik, on respire la zlabia» observe un jeune vendeur que nous avons interrogé. Effectivement, la consommation de cet aliment pas comme les autres relève, si l'on peut dire, du phénomène. L'abondance est telle que la préparation se fait même à l'intérieur des ménages. Ici, certaines familles s'organisent à chaque Ramadan pour la préparer. Les Aksil, en sont, à ce titre, pionniers. Mahmoud, membre de cette famille témoigne: «Nous la produisons depuis 1889. Nous tenons à ce commerce pour perpétuer une tradition léguée par nos arrière-grands- pères.» Etonnant! Bien que la famille Aksil dont la notoriété «zlabiote» dépasse de loin la ville de Boufarik, exerce ce métier pour des questions de «sous», la fibre traditionnelle, elle, en constitue, l'épine dorsale. Car, ce n'est qu'au seul mois de Ramadan que la grande famille se réunit, femmes et hommes, pour se mettre préparer une zlabia bien particulière dont les habitants de la ville sont friands: «Nous avons des clients qui viennent d'Oran, de Sidi Bel Abbès, d'Annaba» se pavane Mahmoud et d'ajouter que «sa» zlabia est particulièrement appréciée par de nombreuses personnes résidant à l'étranger. «Des voyageurs en partance pour des pays européens comme la France ou l'Espagne s'approvisionnent de notre zlabia à la veille de leur départ», poursuit le jeune Aksil qui s'abstient toutefois de nous indiquer la recette qu'il considère comme un secret confidentiel. Boufarik reste, donc, aux yeux des jeûneurs comme la Mecque pour les pèlerins. Véritables amateurs de friandises orientales en ce mois de Ramadan, les Algériens continuent, eux aussi, à perpétuer une tradition gastronomique venue de l'Orient.