Après moult hésitations et tergiversations, la Turquie, sous le poids des événements s'est engagée dans le maelström induit par les exactions dudit «Etat islamique». La Turquie a-t-elle pour autant choisi son camp? La question se pose, qui montre combien Ankara a mésusé de ses forces à contrôler les méthodes et les évènements. Dans une région en ébullition, il ne manquait que la Turquie pour que la boucle soit bouclée. C'est chose faite depuis jeudi avec l'entrée [officielle] de la Turquie dans la mêlée, qui procéda à des frappes contre des cibles jihadistes dans le nord de la Syrie. Avec cette action, c'est l'ensemble des pays du Moyen-Orient - du Bosphore à la mer d'Aden - qui sont désormais touchés par, ou plongés dans, les guerres qui s'y sont déclarées. Tirant en sous-main les ficelles de cette étrange pantomime, faisant montre d'une fausse neutralité, la Turquie, dès l'avènement de ce que [indûment] l'on a qualifié de «Printemps arabe», a joué un rôle dangereux dans cette évolution. C'est simple en fait: l'actuel «sadrazam» ['Grand Vizir'' en turc] de la Turquie, Recep Tayyp Erdogan - faisant montre d'une haine inexpugnable envers son alterego damascène Bachar al-Assad - n'est pas totalement étranger au processus enclenché en Syrie. De fait, le dirigeant turc a eu ces dernières années des attitudes ambiguës en rapport avec les évènements qui marquent la région et l'avènement des groupes jihadistes, singulièrement, ledit «Etat islamique» (EI/Da'esh). Ainsi, longtemps Ankara a soufflé le chaud et le froid attisant les braises de la discorde entre sunnites et chiites. Avec l'Arabie saoudite et le Qatar, la Turquie a été le principal soutien aux «rebelles syriens» leur offrant le gîte et le couvert, supervisant leurs actions, tout en fermant «l'oeil» sur les activités suspectes, à ses frontières, de jihadistes de tout acabit. Au sus de tous, armes et hommes transitaient par les frontières de la Turquie avec la Syrie. Ainsi, Ankara a placé ou tenté de placer ses pions partout où elle estimait ses intérêts en jeu - en Syrie avec les rebelles et les jihadistes - tout en observant une neutralité bienveillante envers l'EI/Da'esh. En juin 2014, le «calife» Abou Bakr al-Baghdadi occupe Mossoul et installe son quartier général dans le consulat de Turquie, prenant en otage le personnel consulaire turc. Le gouvernement Erdogan a eu une attitude curieuse qui a fait voter par le Parlement une loi interdisant aux médias tout débat ou reportage sur le sort des diplomates turcs. Plusieurs décisions de ce genre ont été prises accentuant l'équivoque sur les dispositions d'Ankara faisant douter de ce que veut la Turquie. Ainsi, tout en louvoyant avec les jihadistes, Ankara fait de l'acrobatie avec les Kurdes. De fait, la position de la Turquie sur la question kurde est très bizarre qui s'oppose aux Kurdes syriens - et certes combat ses propres Kurdes - tout en entretenant de bons rapports avec les Kurdes irakiens. Ainsi, Ankara s'oppose fermement à l'érection d'un Kurdistan autonome dans le nord de la Syrie, tout en s'accommodant parfaitement du Kurdistan irakien [un quasi Etat indépendant] avec lequel elle coopère d'ailleurs aux plans économique et sécuritaire. La Turquie - en fait son maître à jouer, le «Grand Vizir» Recep Tayyp Erdogan - a, depuis quatre ans, entretenu l'ambivalence sur ses positions réelles quant aux événements qui secouent le Moyen-Orient. C'est notamment le cas de la Syrie, son ex-alliée, où Ankara a une grande responsabilité dans l'avènement de ladite rébellion «syrienne». La Turquie qui a toujours refusé de rejoindre la «coalition» internationale [menée par les Etats-Unis] - qui conduit des frappes aériennes contre EI/Da'esh - a subitement fait un virage à 180° accordant aux Etats-Unis l'usage de la base d'Incirlik (sud) - qu'elle lui refusait depuis deux ans, tout en menant, à son tour, des frappes contre des cibles jihadistes. En fait, l'attentat de lundi contre un centre culturel kurde à Suruç (ville frontalière avec la Syrie) a accéléré les évènements tout en redistribuant les cartes où la Turquie interpellée par ces nouvelles violences se devait (enfin?) de se positionner. La Turquie a-t-elle pour autant basculé dans le camp anti-jihadiste ou est-ce juste une escarmouche, un avertissement à des groupes terroristes qu'Ankara a, jusqu'ici, ménagés? Peut-on mettre par pertes et profits le fait que la Turquie ait permis le transit vers la Syrie, de milliers de jihadistes et d'apprentis jihadistes venant de 80 pays étrangers selon le Pentagone? Erdogan joue en fait avec le feu dans un jeu compliqué - se disant l'ami de tous, de l'Otan à l'Iran en passant par l'Arabie saoudite et Israël, sans l'être de personne - dont les retombées sur la sécurité de la région et la paix dans le monde pourraient être effroyables. Or, un engrenage périlleux est d'ores et déjà enclenché...