Epouse d'un des historiques de la révolution, Mme Zohra Bitat est également l'une des figures les plus emblématiques de la lutte de Libération nationale. Militante active de la cause nationale, elle a vécu la guerre de «l'intérieur». Mme Bitat a été durant la Bataille d'Alger une «opérationnelle». C'est dire l'esprit de sacrifice qui anime cette dame qui, cinquante ans après le déclenchement de la guerre de Libération, garde la même énergie révolutionnaire. «L'esprit de Novembre ne s'est pas éteint», nous dira-t-elle dans cet entretien. L'Expression: Vous avez pris une part active à la lutte de libération nationale. 50 ans après le déclenchement de la lutte armée, quel regard portez-vous sur cette période de votre vie? Zohra Bitat: C'est sans doute le moment privilégié dans ma vie. Etre en accord total avec soi-même et avec la grande majorité du peuple est, je pense, chose assez rare dans l'existence d'un être humain. J'ai eu ce privilège. Ensemble, avec la même foi et la même détermination, nous avons continué le combat pour la dignité que les générations précédentes n'ont jamais cessé de mener depuis l'occupation du pays en 1830. Nous sommes en 2004 - plusieurs générations d'Algériens ont vu le jour depuis 1954 - pensez-vous que l'esprit de Novembre est encore vivace au sein de la société? Comment s'exprime-t-il dans la pratique? C'est quoi l'esprit de Novembre? Pour moi, c'est essentiellement le refus de la résistance à toute forme d'exploitation qui porte atteinte à la dignité de l'être humain, c'est aussi le sentiment profond d'appartenance à une communauté, à une histoire, à une terre, la fierté de porter cette histoire et l'exigence de toujours la défendre. Bien sûr, l'esprit de Novembre anime toujours notre peuple et s'il en était besoin, la dernière décennie en fait foi par les combats multiformes menés par notre peuple. C'est le refus de perdre notre authenticité faite d'exigence de justice, de liberté, de dignité qui a encore une fois mobilisé la société pour sauver l'Algérie dont rêvait la génération de Novembre. L'Algérie d'aujourd'hui est sans doute différente de celle que vous avez connue durant la guerre et au lendemain de l'indépendance. Quelle évaluation faites-vous du chemin parcouru par le pays en 50 ans après le déclenchement de la Révolution? Pour ma génération qui a connu la situation de l'ensemble du peuple algérien à l'ère du colonialisme, il est clair qu'un immense travail a été accompli. Le peuple dans son immense majorité, ne vit plus l'extrême misère dans laquelle il se trouvait à l'aube de novembre 54 ; l'analphabétisme qui frappait la presque-totalité du peuple a été presque entièrement éradiqué : on ne peut objectivement nier l'immense avancée qu'a connue en 50 ans notre pays. Il s'agit maintenant de consolider les acquis et de nous mettre au diapason des pays développés. On a beaucoup parlé d'écriture de l'histoire de la Révolution algérienne. Certains n'hésitent pas à dire qu'elle a été falsifiée. A votre avis, cela a-t-il été réellement le cas? Je crois que beaucoup de témoignages ont été livrés sur la période de la guerre d'Algérie que les auteurs ont connue et vécue. Un témoignage reste l'expression d'une expérience personnelle à un moment donné et dans des circonstances et lieux donnés, et ne peut être en conséquence que fragmentaire. Je pense que lorsque l'ensemble des archives, et du côté français et du côté algérien, tomberont dans le domaine public, l'histoire la plus fidèle possible à la réalité de la guerre, pourra être écrite. L'Algérie a traversé de graves crises politiques. L'on a eu les événements d'octobre 88. Les dix années de terrorisme sanglant et le Printemps noir. Des centaines de milliers d'Algériens sont morts durant ces crises. Croyez-vous que l'on aurait pu éviter tous ces accidents ou bien était-ce un passage obligé pour la nation? L'histoire de l'humanité et des autres pays dans le monde nous enseigne que la construction d'une nation, sa consolidation et son développement n'ont jamais eu lieu dans l'harmonie et sans soubresauts et convulsions. Et l'Algérie ne déroge pas à la règle. Les Algériens ne sont ni meilleurs ni plus mauvais ni plus sages, ni plus doués que les autres peuples. L'essentiel, est que le pays surmonte les crises auxquelles il est confronté en apportant les solutions justes aux causes qui les ont provoquées pour avancer dans la construction d'un Etat, menant à l'épanouissement de notre société.