Jusqu'au dernier de souffle, la moudjahida est prête à se battre pour voir la France et ses tortionnaires reconnaître les crimes perpétrés contre les Algériens durant la guerre. D'aucuns se sont interrogés comment une « Fatma » a-t-elle osé attaquer des généraux français. A cela, Louisa leur rétorque, le regard espiègle : «Quand on est décidé et convaincu, on fonce ! ». Cela démontre bien l'incroyable degré de détermination de tous ces Algériens et Algériennes qui ont résisté à toutes les formes de torture les plus humiliantes, pour voir un jour leur pays libre et indépendant. Née un 22 août 1936 à Oujda, Louisa est issue d'une famille où tout le monde a le coeur à se battre contre l'ennemi. Alors qu'elle était au maquis, elle fut arrêtée le 29 septembre 1957, lors d'un accrochage à Chebli. Elle fut torturée pendant deux mois. Du 1er octobre au 15 décembre 1957, à la 10e division parachutiste, siège du général Massu (Paradou, Hydra). Elle connaîtra plusieurs prisons : Barberousse, les Beaumettes (Marseille), Laroquette (Paris), la cellulaire d'Amiens, la prison de Fresnes puis de Bordeaux, Toulouse et Pau (Sud de la France). Après la prison de Paris, elle fut transférée en Corse où elle sera femme de ménage et fera également la plonge à Ajaccio, Bastia et Corté. Avec la complicité de son avocat, Marcel Manville, elle s'évada le 16 février 1962 de Bastia et rentra à Alger. En 2001, Louisa décida d'intenter un procès contre le général Schmitt. Depuis, elle n'a de cesse de sillonner les lycées sur initiative des associations de parents d'élèves, pour éclairer la jeunesse d'aujourd'hui sur cette guerre des plus meurtrières et apporter son témoignage. Dans cet entretien que Louisette, de son nom de guerre, nous a accordé à Bouzeguène, la combattante téméraire revient sur son passé douloureux, parle de l'Algérie d'aujourd'hui et de son affaire qui l'oppose au général Schmitt. Ecoutons-la... L'Expression: L'Algérie fête le cinquantième anniversaire du déclenchement de la guerre de Libération. Que représente pour vous cette date? Louisa Ighilahriz : Je suis la première surprise à être encore en vie. Je ne pensais pas être parmi vous en train de fêter le cinquantième anniversaire. C'est très beau. Je pense à la jeunesse qui doit être fière de sa grande et belle révolution. Il y a eu énormément de sacrifices, de morts. Ça a été une guerre des plus meurtrières. Je suis contente d'y participer avec la jeunesse, 50 ans après. Elle a de quoi être fière car nous n'avons jamais reculé devant des forces les plus armées du monde, l'armée française, aidée par les forces de l'Otan. Massu et Aussaresses ont avoué publiquement qu'ils ont pratiqué la torture. Comment interprétez-vous le fait qu'ils n'ont pas été condamnés par la justice? Ils n'ont pas été condamnés par la justice dans la mesure où Aussaresses on l'a attaqué pour apologie de crimes de guerre mais avec leur affaire d'amnistie - ils ont été amnistiés trois fois de suite - tout ce qu'ils ont fait subir aux Algériennes et aux Algériens est absout. Ils ont reconnu avoir pratiqué la torture, c'est déjà beaucoup parce que longtemps, les Français militaires - pas les Français qui nous ont aidés énormément en France - nous ont traités de menteurs. Ils l'ont reconnu d'une façon magistrale et je suis fort contente de la vérité qui est enfin reconnue par ces généraux qui ont pratiqué la torture. Une sorte de pas en avant? Un grand pas en avant pour qu'on puisse déblayer le terrain si on veut une réconciliation totale. C'est à la force de ces grands témoignages que ces militaires qui ont pratiqué la torture doivent libérer leur conscience pour que demain la réconciliation soit effective. La refondation des relations algéro-françaises signifie-t-elle impunité, d'après vous? L'économique ne va pas avec le politique en Algérie. Nous, on fait bien la part des choses. Je n'ai jamais été contre la réconciliation à condition que ce ne soit pas avec les tortionnaires, parce qu'ils n'ont pas fait leur mea culpa et le président Chirac n'a pas encore présenté des excuses aux Algériens pour les tortures infâmes, ignobles, inacceptables et inadmissibles qu'ils ont fait subir aux Algériens et aux Algériennes de 1830 à 1962. Je ne suis pas contre la réconciliation, loin de là, pour la jeunesse, il faut bien qu'elle vive et qu'elle construise son avenir. D'ailleurs, je reçois chez moi des Français, ils viennent sans tambour ni trompette au même titre que les Algériens et il n'y a jamais eu de problèmes. J'ai été en plus l'une des premières à recevoir le tortionnaire Henry Pouillon. Il s'est repenti et il fait un travail merveilleux en France. Il dénonce la torture, l'inacceptable. Où en est l'affaire judiciaire qui vous oppose au général Schmitt? Le procès a été reporté au 17 mars, à la demande de son avocat. C'est-à-dire que Schmitt a été dans l'impossibilité d'être présent le 12 octobre, donc ils ont dû reporter la date. De notre côté, on continue de travailler et accumuler les preuves. Espérez-vous, derrière la condamnation de Schmitt, une condamnation politique de toute la France puisque l'armée sévissait sur ordre des élus politiques autrement dit de l'Etat? Avec l'amnistie, il n'y a rien à attendre, d'autant plus que même les militaires français commencent à parler parce qu'ils sont sous la couverture de cette loi. Ils savaient qu'on ne pouvait rien contre eux. Ce que j'espère, c'est que la France reconnaisse d'une façon officielle les exactions qu'elle a fait subir aux Algériens en condamnant la colonisation et la torture et faire son mea culpa quant aux sévices et pertes dont les Algériens ont fait l'objet. Que pensez-vous de l'Algérie d'aujourd'hui, après 42 ans d'indépendance? Pensez-vous qu'elle est réellement libre puisque sur le plan démocratique, cela n'a pas tellement marché, de même que le peuple ne vote pas vraiment comme il le veut... En démocratie, en effet, nous avons confondu vitesse et précipitation. Elle n'a pas été à la hauteur de nos attentes. Nous le payons cher et nous espérons revoir notre copie et travailler sur la durée. Quant à l'Algérie d'aujourd'hui, elle est en plein essor économiquement et a la chance d'avoir de nombreux partenaires. Il y a une ouverture. Cependant, la jeunesse est assez désabusée et angoissée vu qu'elle ne trouve pas de travail bien qu'elle ait fait des études supérieures. Elle se retrouve au chômage. Je fais appel au gouvernement pour mettre tout de suite le paquet sur cette jeunesse au chômage car pour moi, c'est une bombe à retardement. Il faut immédiatement trouver des solutions à leurs problèmes. Ils ont fait des études pour rendre service aujourd'hui à l'Algérie. La revanche de l'histoire, ce sont eux. La réussite est là, il manque le travail. Je souhaiterai qu'on puisse régler au plus vite ce problème qui gangrène notre jeunesse. L'oisiveté, c'est la dérive, la voie vers la délinquance, la drogue et le banditisme. Vous faites partie, Louisa Ighilahriz, des trois femmes aux côtés de Fatma Baychi et Eliette Lou qui témoignent dans Algériennes, le documentaire de Djamel Sellami sur cette génération pour qui le temps de la réconciliation de la parole et du pardon est venu. Un documentaire dans lequel vous évoquez l'engagement des femmes dans la guerre de Libération, les tortures et la solidarité des femmes dans les prisons. Avez-vous des appréhensions quant à sa sortie? C'est un film-documentaire qui a mis trois ans pour être réalisé. Aussi bien le réalisateur que le producteur ont beaucoup sué pour le faire. Oui, j'ai des appréhensions car d'après les dernières nouvelles, c'est la Belgique qui a eu la primeur de le sortir en avant-première mondiale car l'Algérie a tardé à se prononcer. Peut-être qu'elle se fera ici, je ne sais pas comment. C'est le grand doute. Comment un film intitulé Algériennes qui traite de trois femmes algériennes qui ont combattu et qui sont encore en vie, témoignent des sévices qu'elles ont subis par l'armée française et ne pas profiter pour le montrer à notre jeunesse. En plus, la gardienne du mausolée où s'est tenu le congrès de la Soummam, N'a Ouardia, vient de mourir. Heureusement que le réalisateur a pris des photos et l'a filmée. Aussi, c'est avec un pincement au coeur que j'appréhende sa sortie s'il y en a une en Algérie. Pourquoi avoir mis du temps avant de dénoncer les tortures? Par pudeur, j'avais promis à ma mère de ne pas parler de ces sévices humiliants. En 2000, ma mère tombe malade. Elle commençait à avoir des confusions mentales. Elle n'avait pas vraiment conscience. J'ai décidé de rompre le silence. Par ailleurs, dans les années 70, j'ai été extrêmement malade. J'ai eu une dépression qui a duré trois mois. J'ai cru que les tortionnaires étaient revenus...C'est pourquoi l'esprit allégé, je voudrais aujourd'hui et maintenant, le soulager...