Jamais élection dans un pays n'a suscité autant d'appréhension et d'espoir que la présidentielle américaine. «C'est l'heure du choix! Le monde vous regarde» a lancé en un ultime appel au vote, le candidat démocrate, John Forbes Kerry. C'est effectivement le cas du fait que ces élections «locales» américaines auront une dimension universelle, des répercussions et des retombées sur le reste du monde à la mesure des attentes des uns et des autres, de même que sur la stabilité de nombreuses régions aujourd'hui confrontées à maints conflits armés. En d'autres circonstances, et dans des conditions normales, le choix du futur président américain aurait dû rester une question strictement interne aux Etats-Unis, au même titre que des élections similaires dans d'autres pays quelle que soit leur importance aux plans politique et stratégique. Mais depuis l'arrivée de George Walker Bush au pouvoir aux Etats-Unis, son unilatéralisme, son arrogance et son mépris envers la communauté internationale, son ignorance délibérée des Nations unies, ses impulsions guerrières ont changé la donne internationale et induit des fractures dans les rapports entre les Etats-Unis et le reste du monde. L'Amérique est aujourd'hui exécrée par une bonne partie des pays du monde, y compris des monarchies du Golfe, dont l'allégeance à Washington ne s'est pourtant jamais démentie au long de ces décennies. Certes, il y a eu le 11 septembre qui, outre d'avoir traumatisé le peuple américain, a induit des rapports nouveaux entre une Amérique meurtrie et quelque peu aigrie est un monde qui avait une autre approche tant de la lutte antiterroriste que des solutions à apporter aux conflits qui minent les relations internationales. Aussi, l'enjeu du scrutin présidentiel américain du 2 novembre dépassait-il la seule sphère d'intérêts américains. De fait, une réélection de M. Bush risque, dans le meilleur des cas, de laisser les choses en l'état, ou sans doute d'aggraver les frictions entre l'Amérique et l'Europe notamment, d'autant que le président Bush, durant tout son mandat, a regardé de haut le monde, ancré qu'il est dans la certitude que la puissance américaine permettait tous les dépassements, y compris celui d'humilier les partenaires des USA et de piétiner l'organisation des Nations unies snobée par l'occupant de la Maison Blanche. Pour sa part, le sénateur du Massachusetts, John Kerry, promet, s'il est élu, de refaire «l'unité» du monde et promet, lui, de «consulter» les alliés et les amis des Etats-Unis, et qu'il travaillera à «réhabiliter» le rôle des Nations unies. Mais, pour Bush, s'il est réélu, comme pour Kerry, s'il est élu, de nombreux dossiers aussi détonnants les uns que les autres, les attendrons sur le bureau Ovale, et notamment l'explosif dossier irakien. L'Irak, qui a été au coeur de la campagne, a accentué davantage la fracture entre les deux postulants à la Maison Blanche, et partant diviser l'Amérique entre le président sortant et son challenger. De fait, autant Bush que Kerry, font assaut pour démontrer leur patriotisme et qu'ils sont les meilleurs «commandants en chef» américains; et tous deux décidés à achever le travail commencé sous le mandat républicain. En d'autres termes une élection de Kerry ne changera pas fondamentalement la vision qui est celle de l'establishment américain quant au maintien d'un fort engagement américain, actuellement au nombre de 140.000 soldats, en Irak, dans «l'attente d'une stabilisation» de ce pays qui, à l'évidence, n'est pas pour demain. De fait, il sera difficile pour M.Bush ou M.Kerry, avec la tendance au désengagement, plutôt marquée, de la trentaine de pays membres de l'actuelle «force multinationale» en Irak de venir à bout de la quadrature du cercle irakien. De fait, selon, James Steinberg, ancien conseiller du président Bill Clinton, «Il y a une réticence évidente à travers le monde pour aider Bush à s'en sortir. Mais il y aura aussi une réticence à aider Kerry. Il n'y a pas grand enthousiasme chez les Européens en particulier, pour jouer un rôle significatif en Irak». Dit autrement, George W.Bush, qui a engagé, unilatéralement, son pays et le monde dans la guerre en Irak - qui se révèle de plus en plus meurtrière - ne doit compter que sur ses seules forces, s'il est réélu, pour venir à bout d'un problème qu'il a lui-même créé en envahissant l'Irak alors que la priorité de la communauté internationale était celle de lutter contre le terrorisme international sous l'égide de l'ONU. Ainsi, les alliés des Etats-Unis, que le président Bush n'a pas hésité à humilier, lui disent aujourd'hui de se «dépatouiller» tout seul du guêpier irakien. La divergence notable entre le président Bush et le sénateur Kerry est de fait dans les nuances, plus dans la forme que dans le fond, comme sur la question irakienne, le candidat démocrate estimant la guerre en Irak inévitable, mais reproche au président sortant d'avoir fait cavalier seul et de ne pas avoir associé à cette aventure les alliés traditionnels (Européens et Arabes) des Etats-Unis. Sur les dossiers de l'heure, le Proche-Orient, le Darfour, le nucléaire iranien et nord coréen, notamment, les deux postulants à la Maison Blanche défendent, à quelques nuances près, les mêmes préoccupations et disent leur même détermination à «pacifier» le monde sous la houlette des Etats-Unis. Les deux hommes font en réalité la même analyse quant au maintien de la suprématie américaine sur le monde et le soutien inconditionnel à Israël quels que soient ses torts. Aussi, une réélection de Bush accentuerait la césure entre les Etats-Unis et ses principaux partenaires dans le monde, une élection de Kerry ne fera que remettre les choses à l'endroit et les Etats-Unis dans le rôle qui est le leur comme assumé par ses prédécesseurs, donnant ainsi à l'accession de George W. Bush au pouvoir les dimensions d'un de ces accidents que l'Histoire sait fournir à l'occasion.