Nul ne saurait oublier à ce jour les désastres humains provoqués par l'emploi des mines antipersonnel et les barbelés électrifiés durant la guerre de Libération nationale. En ce cinquantenaire de la grandiose révolution de Novembre 1954, alors qu'Algériens et Français se souviennent des affres de la guerre dans le respect des morts, les mines antipersonnel continuent de déchiqueter des êtres humains et même des animaux. La machine de guerre coloniale française a été des plus redoutables et des plus sales quant à l'extermination de l'homme et de la nature. Quelles que soient les causes des conquêtes, le sens de la civilité a laissé place à des pratiques barbares de torture, où des champs entiers parsemés de mines allaient laisser des millions d'hommes, de femmes et d'enfants handicapés à vie sans pour autant qu'il y ait reconnaissance de ce génocide programmé. La guerre de Libération nationale a été l'ultime occasion pour le colonialisme français d'expérimenter toutes les formes abjectes de répression. Selon les statistiques recueillies, nos champs ont été truffés par plus de huit millions de mines antipersonnel. Afin d'empêcher les maquisards de passer aux frontières à l'Est et à l'Ouest, la France coloniale a construit deux lignes de fils de fer barbelés électrifiés labourés de mines antipersonnel, appelées Challe et Morice. La ligne Morice commencée en 1956 a été achevée en 1957, est située à l'Est allant de Ben M'hidi dans la wilaya de Tarf à El-Oued longeant la frontière algéro-tunisienne passant par Guelma, Souk-Ahras, E1-Malabiod, Tébessa, Negrine. Le tracé est de 460 km de long, de quatre-vingt mètres de large et de deux mètres de hauteur. La seconde ligne électrifiée porte le nom du Général Challe, est située à l'ouest du pays le long de la frontière algéro-marocaine qui prend son origine depuis Marsat Ben M'hidi (ex-Port Say) dans la wilaya de Tlemcen et descend vers le sud de Bechar sur une longueur de 670 km sur trois rangées de fils de fer barbelés et électrifiés. Tous les artifices ont été fabriqués dans l'usine du ministre français de la Défense, André Morice, et construits par les prisonniers de guerre sous haute surveillance militaire. Couvrant des centaines d'hectares où on dénombre plus de 40 à 50.000 mines antipersonnel tous les 20 km, ces deux lignes sont électrifiées à hauteur de 5000 volts. Le kilomètre de ces lignes électrifiées, coûtait 250.800 FF et les postes de surveillance militaire revenaient à 15 millions FF l'un, selon certaines estimations. Bras, jambes arrachés, corps décapités L'Algérie était une vaste prison à ciel ouvert entourée des barbelés de la mort. C'était un Alcatraz où on tue, torture et extermine tranquillement des vies humaines. Que d'hommes, de femmes et d'enfants continuent année après année à être déchiquetés par la déflagration de ces mines. Ces explosifs meurtriers semés dans notre pays par l'armée coloniale a laissé des milliers de handicapés du temps de la guerre de Libération nationale et des victimes qui se comptent par milliers aussi surtout des enfants, après l'indépendance lorsqu'on sait que des millions d'engins ont été transplantés dans les champs où jouent des enfants. Combien sont ceux qui furent calcinés, déchiquetés où jambes, bras, pieds furent arrachés? Un spectacle désolant à ce jour par les effets retardataires des mines antipersonnel qui décapitent les corps des innocents et pulvérisent la chair humaine. De la mine antigroupe à la mine à fragmentation où l'on décèle dans la mine américaine «Claymore» plus de 700 billes d'acier sur un arc de 60° qui peut rester active durant 20 ans à celle de la «bombe en descente» avec ses 2 morceaux de ferraille, de TNT, de soufre conçues pour anéantir des groupes, l'Algérie en a eu dans sa chair où ces engins ont endeuillé des milliers de familles sans moyen aucun pour se soigner ou s'octroyer la possibilité d'une prothèse. La France doit, dans le cadre des dispositions de la Convention d'Ottawa, reconnaître ses responsabilités où plus de 120.000 victimes algériennes des mines antipersonnel, dont 40.000 sont mortes et 80.000 handicapées à vie. Les séquelles de la triste colonisation sont restées indélébiles dans nos corps. L'Algérie qui compte parmi les premiers signataires de la Convention sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et des transferts des mines antipersonnel milite pour leur destruction totale. Si le 98e Prix Nobel de la Paix fut décerné le 10 octobre 1997 à ICBL Jody Williams (Campagne internationale contre les mines), cette distinction va au collectif qui compte quelque 900 ONG de 60 pays récompensant les efforts louables du combat . international contre l'utilisation des mines antipersonnel. Plus de 125 pays ont signé les 3 et 4 décembre 1997 à Ottawa le Traité d'interdiction des mines antipersonnel. En organisant ce séminaire international en Algérie, les ONG de notre pays tels les droits de l'Homme et l'Association nationale de la protection de l'environnement et la Lutte contre la pollution. Celles-ci entendent rappeler à la conscience mondiale les responsabilités du colonialisme dans la prise en charge des invalides et handicapés par déflagration de mines antipersonnel qui continuent d'exploser ajoutant de nouvelles victimes notamment parmi les enfants qui les prennent pour des jouets. Du temps du général De Gaulle, la machine de guerre a été des plus sophistiquées pour anéantir la Révolution algérienne. Qui a dit que le général de Gaulle a octroyé l'indépendance à l'Algérie? En 1960, on comptait plus d'un million de soldats mobilisés pour exterminer le peuple algérien. Cette armée Terre-Mer-Air fut encadrée par plus de 60 généraux, 700 colonels, 1900 commandants, 5300 capitaines, 16.500 lieutenants selon le rapport des Aurès présenté au 1er séminaire sur l'écriture de l'histoire. 344 types de mines antipersonnel Comment ne pas se rappeler les horreurs de cette sale guerre contre un peuple dont le seul tort est de recouvrer son indépendance, sa terre spoliée et sa dignité ? Quelle leçon des droits de l'Homme la France coloniale peut-elle enseigner au monde et aux générations lorsque les théoriciens du génocide ont tout essayé sur la population civile? Comment donc pouvoir universaliser le processus d'Ottawa lorsqu'on sait que 344 types de mines antipersonnel continuent d'être produites par au moins 300 sociétés dans 52 pays? Quelle est l'ampleur de la catastrophe humaine causée par l'explosion des mines antipersonnel? Il existe actuellement 110 millions de mines antipersonnel disséminées dans plus de 70 pays dans le monde. Plus de 25.000 personnes sont victimes chaque année et qui sautent sur des mines antipersonnel. Si l'achat d'une mine anti-personnel coûte environ 30 dollars US, son enlèvement est estimé par conséquent entre 500 et 1000 dollars US. On compte depuis 1975 plus d'un million de victimes en majorité des enfants et plus de 250.000 personnes ayant perdu un membre de son corps par l'explosion d'une mine antipersonnel. Les conséquences de prise en charge par les pays en développement qui ont été colonisés sont faramineuses et ne peuvent supporter le poids des dépenses et des frais occasionnés par de telles catastrophes au plan médical, social et économique. Les experts de la Croix-Rouge internationale estiment que bien au-delà des leux tiers des victimes des mines terrestres doivent s'endetter pour subvenir aux traitements médicaux et de prise en charge, dont la plupart se trouvent être amputées d'une jambe ou d'un bras, si ce n'est une autre partie du corps lorsqu'on sait que le coût d'une prothèse dépasse le revenu annuel d'une personne. Les spécialistes considèrent que la prothèse d'un enfant doit être remplacée tous les six mois et celle d'un adulte tous les trois à cinq ans. Si. un enfant a été blessé par une mine à l'âge de 10 ans et dont l'espérance de vie va au-delà de 50 ans, celui-ci aura besoin de 25 prothèses pendant sa vie. Au prix de 125 dollars US par prothèse, cet enfant payera au moins 3 125 dollars US au total. Quelle sera l'attitude des ONG face à cette situation dans les pays où le revenu moyen par habitant ne dépasse guère les 20 dollars US par mois? Les mines ou l'obstacle pour le développement Si on sait que de nos jours dans les régions frontalières, des milliers d'hectares ne sont pas labourés par crainte des mines éparpillées par milliers sur le territoire, l'on évalue la perte causée par les mines bloquant toute possibilité au travail de la terre, sans compter les milliers d'hectares de champs inhabités par la population fuyant ces contrées pour s'installer dans des régions plus sécurisées. Les mines sont devenues un sérieux obstacle au développement économique par le coût exorbitant du déminage provoquant une saignée dans le budget des Etats pauvres. Quel a été l'effort financier des pays signataires de la convention d'Ottawa et du service de l'action antimines des Nations unies pour aider les pays à engager des campagnes de déminage, de relance du développement et de réadaptation sociale et économique ? Les pays qui ont été la cause de la semence de ces mines doivent prendre leurs responsabilités devant l'Humanité et la conscience universelle. Pour enlever ces mines qui sont disséminées dans les pays anciennement colonisés, l'opération pourrait coûter plus de 33 milliards de dollars US. Les soins chirurgicaux et la pose d'une seule prothèse coûteraient plus de 3000 dollars US par personne. L'Afrique est le continent qui compte le plus grand nombre de mines antipersonnel, soit plus de 30 millions d'engins ensevelis sous terre. L'Angola à titre d'exemple évalue à plus de 15 millions de mines antipersonnel pour une population estimée à un peu plus de 10 millions d'habitants, soit trois mines pour deux habitants. Le Mozambique, le Soudan, le Zimbabwe avec deux millions de mines chacun, l'Erythrée, l'Ethiopie, la Somalie avec plus d'un million de mines chacun, l'Algérie a été semée de plus de huit millions de mines antipersonnel durant la guerre de Libération nationale par le colonialisme français dont les victimes se comptent par milliers. Au Proche-Orient, on estime à plus de l0 millions de mines antipersonnel disséminées en Irak, Iran, et dans les frontières israélo-arabes des pays tels la Jordanie, le Liban, la Syrie. Pendant la guerre du Golfe du 17 janvier au 18 février 1991, les Etats-Unis et leurs alliés ont déversé 135.000 tonnes de bombes sur l'Irak et un million de mines antipersonnel le long des frontières entre l'Irak et le Koweït. En Egypte, plus de 5 millions de mines sont enfouies dans la région du Canal de Suez, du Sinaï et de la mer Rouge depuis les guerres israélo-égyptiennes. Le Viêtnam compte plus de 4 millions de mines encore enterrées sous son sol. Dans la Bosnie Herzégovine et la Croatie, on évalue à quelque six millions de mines antipersonnel. Au Salvador, 75% des victimes de ces jouets de mort sont des enfants. En présentant en 1998 une charte des survivants des mines antipersonnel, la Jordanie reconnaît le droit des victimes, à une réadaptation complète, à 1'éducation, à l'emploi et au soutien social, Les prestations et l'aide à apporter aux victimes des mines doivent provenir des pays qui ont causé ce trauma, Les institutions onusiennes doivent soutenir des initiatives et des programmes en matière de prise en charge et de sensibilisation aux conséquences causées par les mines antipersonnel. On compte à ce jour 37 pays qui ont contribué au Fonds volontaire d'assistance au programme de déminage, mécanisme financier des Nations unies. Le Fonds de la princesse Diana, celui de la reine Noue etc. ont été une initiative dans la contribution à l'action des mines antipersonnel. Il reste que la Convention d'Ottawa est un instrument juridique, sorte de traité contraignant assorti d'obligations et de délais d'intervention en matière de désarmement et déminage et d'aide aux victimes. Le Canada a été le pays qui a annoncé par le biais de son Premier ministre d'un fonds doté de 100 millions de dollars US afin de soutenir l'application de la Convention d'Ottawa en Décembre 1997. En effet, le Canada appuie depuis 1993 par l'intermédiaire de l'Agence canadienne de développement international (Acdi) les actions de déminage où un montant de 2 millions de dollars US a été versé par voie multilatérale en faveur de l'Afghanistan, l'Angola, le Cambodge, le Laos et le Salvador. Ces contributions se sont poursuivies toute la décennie, des années 90, soit 18 millions de dollars US furent décaissés par l'Acdi au titre du soutien à l'action contre les mines dans 11 Etats touchés. Il faut dire que la Convention d'Ottawa a été le cadre d'action visant à venir à bout des catastrophes provoquées par les mines antipersonnel dans le monde. Ainsi, le processus d'Ottawa qui a été mis en branle pour aboutir à des négociations en vue de signer cette Convention internationale interdisant l'emploi, la production, le transfert et le stockage des mines antipersonnel a eu malgré quelques réticences des effets positifs. La Convention d'Ottawa est le premier traité de l'histoire qui interdit une arme largement utilisée par les forces militaires. En plus de l'interdiction de la production, stockage et transfert, elle oblige les Etats signataires à détruire tous leurs stocks dans les quatre années qui suivent son entrée en vigueur en 1999. Il faut dire que 122 pays ont déjà signé pendant la Conférence de décembre en 1997. Plusieurs autres l'ont signée depuis et plus de 30 l'ont ratifiée. La majorité des projets envisagés pour venir à bout du déminage et de problèmes nés de l'explosion des mines antipersonnel par le Fonds de 100 millions de dollars US ont été engagés sous forme de partenariat. Les fonds canadiens engagés contre les mines sous forme d'aide au déminage, à la sensibilisation au problème des mines et aides aux victimes se résument ainsi selon le tableau suivant: Afghanistan: 200.000 dollars US - Angola 250.000 dollars US - Bosnie Herzégovine: 10.000 000 dollars US - Cambodge: 1.146.000 dollars US - Croatie: 100.000 dollars US - Equateur, Pérou: 100.000 dollars US - Guatemala: 100.000 dollars US - Jordanie: 300.000 dollars US - Kosovo: 950.000 dollars US - Laos: 450.000 dollars US -Mozambique: 10.460.000 dollars US - Tchad: 100.000 dollars US - Ouganda: 125.000 dollars US - Yémen: 1.050.000 dollars. Le Canada a apporté au titre du soutien au Service de l'Action contre les mines de l'ONU en matière de coordination multilatérale l'équivalent de 500.000 dollars US. Le Centre canadien des technologies contre les mines a engagé 17.000.000 de dollars US, 245.000 dollars US pour la promotion de la ratification, de l'universalisation et l'application de la Convention d'Ottawa dans de nombreux pays notamment le soutien à la campagne internationale contre les mines antipersonnel. Quant à la surveillance de l'application de la Convention d'Ottawa, 450.000 dollars US ont été alloués pour l'Observatoire antimine et 571.000 dollars US pour les programmes de sensibilisation. Sans compter le projet des jeunes ambassadeurs de l'action contre les mines qui a amené 300.000 millions de dollars US. Traumas humains et droits de l'homme Si tous les pays qui ont été à l'origine de ces traumas humains se mobilisent en octroyant aux diverses victimes des aides et des pensions afin de les réadapter à une vie normale, n'est-ce pas une des responsabilités qui s'inscrit en droite ligne dans l'esprit des droits de l'homme et du respect de la dignité humaine. Les victimes algériennes qui continuent de vivre le cauchemar des suites des mines antipersonnel que la France coloniale a déversées sur notre terre, interpellent les autorités françaises à reconnaître ces faits de guerre et d'indemniser les personnes touchées dans le cadre des clauses du Processus d'Ottawa. Quelle est la responsabilité de la France coloniale devant les charniers que le peuple algérien découvre à chaque fois qu'il entame des fouilles, le dernier en date est celui des 320 restes de martyrs près de Chériaâ à Tébessa. A cela s'ajoute à chaque fois l'explosion des mines antipersonnel sur des enfants, bergers qui sont déchiquetés ou handicapés à vie. Le cinquantième anniversaire de la révolution de Novembre 54 est une autre occasion de nous rappeler que les séquelles des mines antipersonnel continuent de se faire sentir encore aujourd'hui, longtemps après la fin de la guerre. Elles continuent d'endeuiller des familles entières. L'Etat français est tout simplement interpellé pour envisager des aides aux victimes et contribuer, avec les autorités algériennes au déminage des régions frontalières qui souffrent de ces «jouets de la mort». Ce dossier a d'ailleurs été traité le mois passé par le gouvernement dans l'esprit de la refondation dans les rapports entre l'Algérie et la France pour mieux asseoir les idéaux de paix de solidarité et des droits de l'Homme pour lesquels les présidents Abdelaziz Bouteflika et Jacques Chirac n'ont eu de cesse d'entreprendre des efforts fort louables.