Sur initiative du collectif Lizancien, le leader du groupe Gnawa Diffusion animera ce jeudi 11 novembre, un concert exceptionnel à la salle Harcha... Réunis sous la kheïma de Sofitel lors d'un point de presse surréaliste, suivi d'un concert intime et chaleureux, Amazigh nous dévoile ses projets et parle de ses idéaux et ses causes avec son éternel franc-parler et sa «liberté» de penser auquel il tient par-dessus tout... L'Expression : On croit savoir que la Warner qui distribue le CD Souk Système a décidé de retirer dans les prochains tirages de l'album, la chanson Char-la town, dans laquelle vous vous attaquiez à la diaspora juive. Une explication là-dessus? Amazigh Kateb: Je rectifie, Warner n'a jamais décidé de cela. Elle ne peux pas le faire car on est en contrat de licence et non pas en contrat d'artiste. C'est nous qui sommes producteurs de notre produit. Ils n'ont pas cette liberté. Donc, il ne pourront jamais enlever Char-la town du disque. Ce qu'on nous a reprochés à travers la chanson, c'est d'être non pas antisionistes, mais carrément antisémites. On nous a traité d'antisémites parce que nous avions une position qui disait clairement qu'en Israël, c'était une colonisation et pas autre chose. Une fois, il y a eu un papier sur le Nouvel Observateur qui m'a attaqué et je lui ai répondu justement en prenant exemple du critère de la guerre d'Algérie. J'ai dit : Moi, en tant qu'Algérien, je ne peux pas être pour Israël, pour la colonisation de la Palestine parce que moi-même je viens d'un pays qui vient de gagner son indépendance. En tout cas, ce n'est pas très vieux. C'est encore dans mon histoire et dans mes gènes... J'ai dit aussi dans mon droit de réponse: A part peut-être que vous, vous préférez la formule coloniale, moi je lui ai renvoyé l'histoire de la colonisation algérienne dans la gueule et le type a trouvé qu'il y avait trop de caractère. Et le droit de réponse est passé dans le Nouvel Observateur, quasiment inaperçu, complètement réduit, quatre mois après... On vous a justement accusé d'avoir affirmé que les «Israéliens sont des nazis». C'est un peu fort, non? Il n'y a, à aucun moment dans le texte que les Israéliens sont des nazis. C'est le journaliste du Nouvel Observateur qui prétend que je dis ça dans la chanson. En revanche, ce que je souligne, c'est que les milieux sionistes ont travaillé avec les nazis à la déportation des Juifs en Israël, en Palestine pendant la Seconde Guerre mondiale. Et cela est vrai et différent... Cela n'a rien à voir... On parle de politique parce qu'Amizgh, c'est connu, est un chanteur militant, provocateur et donc engagé. Dans ton album Souk Système, tu critiques l'impérialisme américain et tu pourfends le système de Bush. Maintenant que Bush est réélu, comment vois-tu l'avenir? L'avenir, je le vois moins bien qu'avant. Déjà j'avais des problèmes de myopie et donc là... C'est la galère totale. Pour l'avenir, il faudra voir madame Soleil. Sinon, pour Bush, il reste un connard. Je pense qu'il y a quelques millions de connards qui ont voté pour ce mec car apparemment, cette fois-ci, c'était de vraies élections, elles n'étaient pas truquées. C'est super décevant. Moi je pensais vraiment qu'il n'allait pas repasser, que les gens avaient compris qu'on jouait avec leur peur, leurs lubies, leurs fantasmes et leurs phobies. Et je me rend compte que non... que le mensonge, ça marche. Cela va continuer à mon avis. Nous, cela nous fait ni chaud ni froid, car nous avons plein de «petits Bush», les types qui veulent «bouffer» tout. On les connaît...Donc, ce n'est pas nouveau. Il y a plein de requins dans l'aquarium, faut faire attention! Qu'est-ce qui motive Amazigh par défendre ces causes? Parce que je sens que ce sont mes causes. Je n'irais pas défendre une cause juste parce que j'ai envie de rester un chanteur engagé, mais justement si je défends une cause, c'est parce que c'est quelque chose qui m'habite. Quand je parle de la Palestine, ce n'est pas parce que cela fait bien d'être pro-palestinien. Au contraire, cela ne fait pas bien du tout d'être pro-palestinien, c'est très dur, en étant musicien encore plus, parce que nous vivons de notre discours. On ne fait pas seulement des discours pour gagner des élections, on travaille et on vit de notre musique. C'est encore plus délicat de le faire. Si on le fait, c'est par conviction intime. Je sais très bien que si l'Algérie était à la place de la Palestine aujourd'hui, j'aurais la même gamberge, la même façon de réfléchir. Je ne vois pas pourquoi je ferais le deux poids, deux mesures dans ma réflexion et dans mon analyse politique ou autre. La cause irakienne n'est même plus une cause pour moi, parce que je suis allé en Irak, à Bagdad. J'ai joué pour ces gens et je les ai vu danser et j'ai vibré dans ce pays. Cela me fait très mal de voir des endroits que je connais se faire bombarder. J'ai vu à la télé dernièrement, quelqu'un que j'avais rencontré là-bas, un chrétien irakien qui montrait une jarre cassée dans une église qu'avaient bombardée les Américains. Je n'ai pas l'impression de parler d'un phénomène d'actualité. J'ai l'impression de parler de quelque chose qui fait partie de moi, de mon histoire. Mis à part l'Irak, les guerres, qu'est-ce qui fait «rager» Amazigh et qui reste encore à écrire et à chanter dans ses prochains albums? Ça, je ne peux pas le prédire. En tout cas, ce qui est clair, c'est que nous, on ne se considère pas comme un groupe de musique engagée, on se considère comme un groupe de musique, tout simplement. Je pense que ce qui a tué les musiques engagées précisément, c'est, qu'elles se sont enfermées dans le discours, uniquement le discours. Il y a un moment où le discours ne suffit plus et les gens en ont eut marre des discours, en général. Je crois que si on veut tuer une musique, on l'enferme dans une étiquette, dans un cliché. Je ne pense pas qu'on fait de la musique engagée. On fait de la musique actuelle, d'opinion et festive avant tout. On est d'abord là pour être ensemble, pour être heureux, pour danser et pour se rendre compte qu'on existe parce que très souvent, on pense une chose et on croit que l'autre n'irait jamais penser la même chose. Je crois que la rencontre est importante, ne serait-ce que pour savoir qu'il y a d'autres gens qui sont comme toi, qui refusent les mêmes choses que tu refuses. Il y a des gens qui dansent sur la même musique que toi et vibrent sur les mêmes choses que toi. Il n'y a pas que des gens qui travaillent aux commérages et à la censure, il y a ceux qui souffrent des mêmes maux. Il faut que ces gens se connaissent. C'est comme cela qu'on réussi à créer une dynamique, quelque chose de vrai. Parle-nous de ton projet de trio avec Karim Ziad et Aziz Sahmaoui... A chaque fois qu'on se voit, on se dit : il faut qu'on fasse un truc ensemble. Je pense qu'on va finir par le faire. Il n'y a pas vraiment de concept, c'est une aventure humaine avant tout. Il faut que tu ressentes la personne et que tu aimes sa façon de jouer, tu as envie de partager quelque chose. C'est ça qui communique le bonheur... Vous partagez un même idéal, avec Karim Ziad, cette revendication pour l'africanité... Oui, c'est clair, il y a un point énorme qui est celui-là. Mais il n'y a pas que ça : l'africanité, c'est une chose mais l'africanité maghrébine en est une autre. L'africanité du Maghreb est à travailler, à découvrir et à recomposer. Ce n'est pas une africanité noire, à base de tam-tam. C'est la nôtre. Il faut qu'on sache la revendiquer à notre façon. Moi, je ne me prends pas pour un Malien, je suis Africain et Algérien. Une fois, je discutais avec quelqu'un qui me disait : «C'est difficile d'être un artiste en Algérie». Non, en fait ce qui est difficile en Algérie, c'est d'être un artiste et de rester Algérien. C'est surtout ça. Des projets avec l'association que tu gères avec ta maman, Avenir et mémoire? Oui. Il y a un livre qui vient de sortir, intitulé Parce que c'est une femme, une pièce de mon père qui s'appelle Sawt n'ssa en arabe. C'est ma mère qui a travaillé dessus et l'a sortie il y a moins de six mois aux Editions Les Femmes. Une maison d'édition exclusivement féminine. Il y a une exposition intitulée Théâtre en trois langues qui continue de tourner. La plus grande bibliothèque de Grenoble va être inaugurée en décembre et s'appellera Kateb Yacine. Il va y avoir sûrement la création d'une maison de Kateb Yacine par la suite à Grenoble, et j'aimerai bien en ouvrir une en Algérie. Peut-être dans l'Est où est né mon père. Tout dépendra des possibilités. Il y a aussi des pièces qui ont été montées, dont une sur la Palestine et puis d'autres projets en cours pour les 2 ou 3 prochaines années... On croit savoir qu'Amazigh devait signer la bande originale du film de René Vautier... Il voulait que je fasse la musique de son documentaire mais actuellement, il est malade. En fait, moi j'ai organisé une manifestation l'année dernière à Paris sur le 17 octobre 1961 et j'ai voulu projeter son film Vive la liberté, un film qui raconte la vraie histoire de la colonisation, c'est-à-dire les tractations commerciales qui ont eu par le Dey d'Alger avec les Turcs et les Français... Cela n'a pas pu se faire. Il est venu à Grenoble et a présenté son autre film, 20 ans dans les Aurès. C'est là où on s'est rencontrés. Il avait envie de faire quelque chose sur Gnawa et faire un lien avec mon père, avec qui à une époque, ils ont réalisé ensemble un reportage sur la guerre d'Algérie entre 1954 et 1957...René Vautier est quelqu'un que j'aime beaucoup. Il est gravement malade. Lui, il est en Bretagne, moi de l'autre côté de la France. C'est un peu difficile de se connecter. C'est une personne qu'on a envie de prendre dans ses bras lorsqu'on le voit...