«J'ai cinq ans et demi, en attendant de lire des livres pour les grands» Ou ne pas Être éditE du tout, c'est la pire adversité que rencontre sur son chemin de traverse un écrivain sans expérience. Et, comme beaucoup, j'entends souvent cette réflexion qui veut, en quelque manière, prouver que l'expérience ne sert à rien. Je n'en ai pas trouvé une explication, pas une seule. Seulement, je me rappelle, une scène encore inédite en littérature, inouïe dans le théâtre vivant des salles de spectacles. Il y a près d'un demi-siècle (!), dans les locaux de la SNED de la rue Larbi Ben M'hidi à Alger, tandis que, dans son bureau de conseiller littéraire, je causais de livres et de littérature avec le regretté et ami, mon aîné Sî El Boudali Safir, quelqu'un, en entrant et avant de se présenter, demanda d'une voix tonitruante à la cantonade: «- Y a-t-il des livres?» L'immense homme de lettres et de culture, Sî El Boudali Safir sourit. Il étendit vers la personne la main, lui chuchota avec douceur: «- C'est quoi donc tous ces livres rangés sur les étagères et dans les vitrines?» L'autre, forçant son sourire et l'air fier, se présenta: «- Je suis libraire depuis quelque temps. J'ai un registre du commerce... Frère, tu es mieux placé que moi, je veux des livres qui se vendent (sic).» Calme et pédagogue, à la fois, El Boudali Safir lui chuchota de nouveau: «Mais, tous ces livres autour de nous, se vendent en librairie!...» Le libraire haussa les épaules: «- Je ne peux les prendre tous!» Et il sortit, sans dire au revoir. Ne cherchons pas d'explication, là où l'on sait qu'elle n'est pas. Il y aura de cela bientôt un demi-siècle, et aujourd'hui, où on est-on?... Ça continue, hélas! Le problème du livre - si c'en est un - sa solution est, tout à la fois, chez l'auteur, chez l'éditeur, chez le libraire, chez le lecteur, et elle demeure immuable - ou introuvable - dans nos établissements scolaires. Voici des extraits de présentation d'ouvrages dans Le Temps de lire (Saison 2014-2015): SOUR EL GHOZLANE - LES LIONS DU DIRAH 1912 de Omar Boudjerda, éd. DKA (Dar el Kitab el Arabi), Kouba-Alger, 2009, 206 pages (en arabe et en français): «Cet ouvrage se veut un hommage à un des plus anciens clubs de football du département d'Alger en 1912, puisqu'il a été fondé à cette date. Ce club a pu briller, à l'instar de ceux de Aïn-Bessem, de Bouïra, plus tard de Bou-Saada, de Sidi Aïssa, et d'autres qui ont eu une existence éphémère. Nos aînés se rappellent encore «les empoignades» entre ces clubs de statut amateur de la ligue d'Alger de football dans les matchs de championnats régionaux et de la Coupe Forconi de football créée en l'honneur d'Edmond Forconi, un ex-joueur et dirigeant du Gallia sport d'Alger. [...] Ce qui est intéressant, c'est de comprendre qu'en vérité ce sont les jeunes «indigènes» de Soûr El Ghouzlâne (Aumale avant 1962) qui jouaient dans l'équipe de l'Union Sportive d'Aumale (USA) qui se distinguaient dans les compétitions. Sans doute, y avait-il de grands joueurs d'origine européenne, par exemple, jusqu'en 1930 et même après, les Emile Dubouche, Emile Tournier, les frères Garcia, Fouchet, Baldovi, etc. Mais à partir des années d'après-guerre, 1946-1948-1950-1953-1956-1957, avec l'éveil franc au nationalisme, s'y étaient introduits de jeunes Algériens au multiple talent dans le jeu et dans l'organisation générale du club. Ils jouaient, en quelque sorte pour faire valoir leur identité qui n'était pas française. Des joueurs de grande classe, sans entraîneur attitré, avaient percé au cours des saisons sportives. Personne n'oublie, par exemple, Yousfi Rabah (dit plus tard «le soigneur» et dont je fais un des militants FLN dans le roman que j'écris en ce moment), Taleb Aboubakr, Zitouni Mohamed, Zitouni Abbès, Zitouni Messaoud, Chellabi,... Qui n'a pas admiré les dribbles de Djoumi Saïd, Benmedjber,... la vitesse de pointe de Bourbala,... l'adresse de Hamza Hamama, Hamza Kada, Taleb Aboubakr, Berbache, Derradji,, Zeguiche, Saïki Mohamed, Mekkid, Dahmani, Zarreb, Moali, Benchikh Mohammed (qui figure dans le film Çamt er-ramâdh, d'après mon roman Le Silence des cendres, tourné à Soûr El Ghouzlâne en 1975), Aoun Elhadi,...? Et d'autres que l'on découvrira dans les très nombreuses photos illustrant l'ouvrage. On lira avec un vrai plaisir et une nostalgie heureuse les prouesses de leurs successeurs, lionceaux des lions prodigieux du mont Dirah, sage protecteur de Soûr El Ghouzlâne. [...] Oui merci à Omar Boudjerda, qui est, par ailleurs, auteur de poèmes populaires du genre chir elmelhoûn, de nous avoir proposé cet album de souvenirs, un essai sur l'histoire de l'USA, du MSG et de l'ESG ou «Zerga», la vaillante. Il faudrait rappeler Ahmed Mihoubi, «le journaliste» et «l'expert» du club «USA». Boudjerda devrait réécrire ce livre et l'augmenter de récits plus développés et plus denses en histoire sportive et plus généreux en faveur de la cité Auzia la romaine, de la ville au Rempart et à ses Portes largement ouvertes au souffle de la Révolution de Novembre 1954, de Soûr El Ghouzlâne, Le Rempart des Gazelles, bastion contre l'ennemi envahisseur, enfin ressurgi en Algérie indépendante. [...] Et certainement aux Gazelles libérées, aux Gazelles libres aux côtés des Lions du Dirah. [...] Que vive le club «Zerga», l'Entente de Soûr el Ghouzlâne (ESG), il a tant de promesses historiques à tenir, des rêves à réaliser,...! C'est le voeu de Ahl es-Soûr et le mien aussi. L'ENNEMI INTERIEUR, La généalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritaire dans la France contemporaine de Mathieu Rigouste, Editions Alem Afkar, Alger, 2012, 360 pages: «Ici on noie les Algériens. C'était à une époque sauvage que la mémoire historienne nationale n'a pas oubliée, qu'elle n'oubliera jamais, car elle est liée à la barbarie coloniale française en Algérie. [...] Ce n'est pas tout à fait de la pure littérature mais un document contre l'oubli cruel et l'indifférence malsaine que je trouve dans le fort, juste et brillant ouvrage L'Ennemi intérieur de Mathieu Rigouste. L'auteur est français, né en 1980 à Gennevilliers. En 2008, il est docteur en sciences sociales à Paris VIII (Saint-Denis), chercheur indépendant et militant anti-sécuritaire. Sociologue, il se consacre principalement à l'histoire de la police et à l'analyse du comportement policier et sécuritaire. [...] On peut dire que la représentation de l'immigration en France est globalement perçue et étudiée avec audace, clarté et honnêteté. Mathieu Rigouste fait honneur aux chercheurs de vérité, ni plus ni moins. Un tel travail, un travail d'intellectuel formé et appliqué, passionné et serein, curieux et circonspect, est un modèle éducatif et instructif dont tout jeune chercheur devrait s'inspirer. Pour le lecteur algérien, L'Ennemi intérieur de Mathieu Rigouste est une source d'informations originales et pour la plupart d'archives. Il a travaillé sur le terrain et ses sources écrites sont nombreuses et souvent de première main. Une postface à la présente édition recadre, en bien des points, quelques formulations insuffisantes publiées dans la toute première édition, et c'est un enrichissement que l'on apprécie comme il convient. La conclusion est que l'«ennemi intérieur» est définitivement l'«immigré» d'où qu'il vienne. L'actualité renforce cette cruelle réalité qui éveille les effets dramatiques de la «pacification» glorifiée par l'«action psychologique» en faveur d'une «Algérie française», les crimes de la guerre d'Algérie, les tortures qui s'y pratiquaient et les attentats OAS,...» LES AMIS DES FRÈRES de Rachid Khettab (Ouvrage relié et cartonné), éd. Dar Khettab, Boudouaou-Alger, 2012, 432 pages: «Bienheureux l'homme pour l'homme! Quand des amis deviennent [des] Frères, l'Humanité peut s'enorgueillir de servir des causes justes. [...] Rachid Khettab nous propose effectivement un rappel historique indispensable. Il le présente comme, à la fois, le don de soi d'un Algérien et celui de tout le peuple, celui d'hier et celui d'aujourd'hui, celui des vivants, celui des moudjâhidine et celui des chouhadâ dont le souvenir est sacré. Ce résultat de recherche est non seulement un sincère hommage rendu aux «Justes» qui, de toute nationalité et de toute conscience religieuse ou non, des femmes et des hommes, se sont dressés contre l'injustice de la France coloniale en Algérie et l'ont fait sans hésitation. Mais il est également et surtout l'expression des Algériens en guise de reconnaissance à tous leurs Frères et parmi eux «Les Français», c'est-à-dire ceux que Jean-Paul Sartre évoqua dans sa Lettre au tribunal: «Les Français qui aident le F.L.N. ne sont pas seulement poussés par des sentiments généreux à l'égard d'un peuple opprimé et ils ne se mettent pas non plus au service d'une cause étrangère, ils travaillent pour eux-mêmes, pour leur liberté et pour leur avenir. Ils travaillent pour l'instauration en France d'une vraie démocratie.» À suivre: La Petite bibliothèque de l'été 2015 dans Le Temps de lire du mercredi 16 septembre prochain.