Devant reprendre ses travaux samedi passé, le Conseil de la nation a préféré ajourner ses activités sine die. Le projet de loi de finances 2005 adopté lundi passé à une large majorité par l'Assemblée populaire nationale (APN) doit bientôt atterrir dans les travées de la chambre haute. Ce texte est au centre d'une polémique, vu la manière avec laquelle il a été entériné par les députés de la chambre basse. Les groupes parlementaires issus des partis de l'alliance présidentielle siégeant majoritairement à l'hémicycle Zighout Youcef, constituant ce qu'on appelle communément la coalition gouvernementale composée du FLN, du MSP et du RND, ont fait barrage à certaines dispositions jugées impopulaires puisqu'elles instituent des surtaxations sur des produits à usage courant. Cette montée au créneau des élus de la majorité est intervenue alors qu'on s'attendait, si l'on tient compte de la cohérence et de la logique qui doivent imprégner le magma politique aux commandes du pays, à ce que le texte passe «sans histoire». L'on a été surpris par l'attitude «rebelle» des députés à contre-courant de l'orientation générale du gouvernement notamment dans sa politique financière. Le hic concerne notamment la reconduction de l'interdiction de l'importation des boissons alcoolisées qui risque de contrarier les négociations en vue de l'adhésion à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Le ministre des Finances, Abdelatif Benachenhou, a qualifié l'amendement de «contraire aux engagements internationaux de l'Algérie» et «susceptible d'entraîner des mesures de rétorsion au titre de la réciprocité de la part des autres pays». Le Sénat qui devait renouer avec les joutes parlementaires samedi dernier et trancher le dilemme, a opté pour l'ajournement de ce rendez-vous que d'aucuns perçoivent comme une étape cruciale qui déterminera le sort de la mouture de Benachenhou et peut-être même jouer en défaveur des locataires de l'auguste assemblée. Ces derniers risquent de payer cher leur désobéissance, à en croire les rumeurs qui circulent autour d'une éventuelle dissolution de l'APN. La présente loi de finances reste donc otage des spéculations. A l'issue du vote, le ministre des Finances groggy par le coup de massue qu'il venait de recevoir frontalement et sans ménagement, avait déclaré qu'il s'en remettrait au conseil du gouvernement. L'équipe d'Ouyahia qui s'est réunie jeudi passé n'a pipé mot sur le texte en question. Le communiqué sanctionnant cette réunion ne mentionne aucune information y afférent. Dans l'une de nos précédentes éditions, on évoquait des sources gouvernementales dignes de foi qui affirmaient que le président de la République se serait montré «courroucé» par le vote des députés alors que quelques jours auparavant, il réclamait un blanc-seing de la part des représentants du peuple. «Le chef de l'Etat s'était adressé à l'APN, comme l'y autorise l'article 128 de la Constitution, pour lui demander de le soutenir dans ses réformes», précisaient les mêmes sources en ajoutant que «Bouteflika, après mûres réflexions, avait renoncé à dissoudre l'APN après sa réélection, une fois que les dissensions qui existaient dans les rangs du groupe parlementaire du FLN aient été contenues». Le chef de l'Etat, qui veut passer à la vitesse supérieure et accélérer les réformes entend se consacrer à d'autres projets prioritaires tels les textes relatifs à l'amnistie générale, la réforme de l'Etat et la révision de la Constitution qui constitueront l'apothéose de la concrétisation de son programme lancé dès son investiture en 1999. Bouteflika avait, au demeurant, toutes les raisons de se sentir soutenu par sa très confortable majorité parlementaire d'autant plus qu'au perchoir de l'assemblée est placé un homme de son entourage. Seulement la désobéissance des députés semble quelque peu brouiller les cartes à telle enseigne que dans les milieux initiés, on n'hésite pas à parler de «complot ourdi et de manipulation». Selon les propres aveux de certains membres de la direction du FLN, le RND, qui n'a jamais digéré son «humiliation» des élections législatives et locales de 2002, suivie par une brève mais spectaculaire démission d'Ouyahia, son secrétaire général, ruminait sa rancune dans son coin sans la montrer ouvertement, attendant le moment opportun pour la propulser à la surface. En fin manoeuvrier, Ahmed Ouyahia a profité à fond de la crise qui a secoué son frère ennemi, en reprenant les commandes de l'Exécutif national d'abord, et en sauvant sa majorité à la chambre haute du Parlement. Connaissant le caractère bien trempé de l'ho-mme rompu aux arcanes politiques et aux intrigues du système, il ne lâchera certainement pas prise en obligeant ces hommes au Sénat à inverser la donne et faire pencher la balance en faveur du blocage du texte décrié. Cela pourrait aussi ajouter de l'eau à son moulin, lui qui ne voit pas d'un bon oeil la «mutinerie» des locataires de la première chambre du Parlement qui prend l'allure d'un véritable désaveu à sa politique et corrélativement à celle du président. Ce qui pourrait être un argument de taille pour convaincre ce dernier à dissoudre l'APN et envisager des élections législatives anticipées pour une nouvelle recomposition plus adéquate, à moins d'un remaniement gouvernemental qui viendrait tout chambouler et damer le pion au chef de l'Exécutif. Il faut préciser que parmi les prérogatives du chef de l'Etat figure celle de légiférer en cas de blocage conformément à l'article 120 de la Constitution qui stipule que «le Parlement adopte la loi de finances dans un délai de 75 jours au plus tard de son dépôt (...) En cas de non-adoption dans le délai imparti, le président de la République promulgue le projet du gouvernement par ordonnance». On doit s'attendre aussi à la mise sur pied d'«une commission paritaire, constituée des membres des deux chambres, se réunissant sur demande du chef du gouvernement».