Est-ce cela qu'on appelle du courage politique ou de l'inconscience? Après avoir été reçu par des insultes dans les quartiers ouest d'Alger, le président Bouteflika est revenu sur les lieux d'une blessure béante. Bouteflika aura surpris tout le monde, y compris ses proches collaborateurs, en décidant d'aller rendre visite aux sinistrés de Bab El-Oued, Triolet et Frais-Vallon. Hermétique aux conseils qui l'incitaient à ne pas s'exposer à la colère des citoyens de ces quartiers qui survivent difficilement depuis deux semaines, Bouteflika est allé au-devant des gens auxquels il avait promis de revenir les voir, en maintenant ses promesses dont celle de reloger au plus vite les sinistrés de cette catastrophe. En politique, les actes ont une résonance plus puissante que les mots. Bouteflika affectionne ce genre de symbole et ce ne sont pas les conseillers médias qui l'ont dissuadé après le ratage de la première sortie. Cette fois-ci, le Président a pris le temps d'écouter les sinistrés, de partager leurs peines, de rassurer les vieilles mères de famille qui l'ont entouré tout au long du parcours et de se rendre compte que la douleur est réelle et non pas seulement étalée sur des rapports d'administration. De Frais-Vallon à Bologhine, en passant par Bab El-Oued, le Président Bouteflika a posé un geste fort qui a même fait douter ses détracteurs. «Il a osé revenir ici, après tout ce qu'on lui a dit la première fois», dira un des habitants du quartier qui est resté admiratif. Dans la longue tradition des tenants du pouvoir en Algérie, la confrontation avec la population, de surcroît transie par la colère et le deuil, est un exercice périlleux que de nombreux chefs d'Etat ou de gouvernement évitent. C'est à l'aune de cet exercice que l'on mesure la popularité des politiques et où l'on ressent et entend ce que le peuple pense de vous et de votre gestion. Zerhouni a été maintes fois interpellé, Benflis a reçu des pierres... le style de gouvernance et de gestion des crises proposé par Bouteflika comporte des risques pour tout le monde. Y compris pour lui. Face à un chantier aussi immense que la lutte contre une catastrophe naturelle de cette envergure, on mesure la capacité d'absorption des chocs des gouvernants et leur solidité politique. Aucun gouvernement ne peut réagir dans ce contexte sans provoquer la vindicte populaire, servie, il est vrai, par l'incapacité chronique des élus locaux à s'occuper des affaires publiques. De l'aveu d'un pompier français: «Même le gouvernement français n'aurait pu réagir mieux. Vous avez fait ce qu'il fallait faire.» Cette visite inopinée créera, à n'en pas douter, un choc qui se voudra irréversible dans la conscience populaire du seul fait qu'elle affirme la présence de l'Etat, avec son premier représentant, aux côtés d'une population meurtrie et en souffrance. La visite a également été technique et l'on a assisté carrément à un Conseil des ministres à ciel ouvert devant le marché Triolet avec Benflis, Zerhouni et Nourani en train d'expliquer ce qui reste à faire à un Président patient. Car au jeu de la critique, le Président a réussi à démontrer qu'il est patient. Préférant faire le dos rond à ses adversaires, il a chapeauté la direction des opérations et a fait ce qu'il y avait de mieux à faire dans ces moments pénibles: travailler. En politique, c'est le meilleur remède à l'ingratitude ou à l'incompréhension, le Président Bouteflika a prouvé, dorénavant, qu'il sait prendre le temps et réagir face à une population qui saura quel sens donner à cette virée à Bab El-Oued.