Le président de la république a su faire preuve d'un pragmatisme et d'un réalisme exemplaires. «Dès que je vois un tabou, je ne résiste pas à l'envie de le casser», avait déclaré le président Abdelaziz Bouteflika au début de son premier mandat. C'est vrai, et les événements lui ont donné raison sur plusieurs dossiers où il a eu à remettre les pendules à l'heure, aussi bien sur le plan politique, social, culturel qu'économique. Pourtant, sur la question de la Francophonie, le président de la République a su faire preuve d'un pragmatisme et d'un réalisme exemplaires. Certes, il a franchi le Rubicon et donc déconcerté son monde en s'adressant dans la langue de Molière aussi bien aux Algériens qu'aux étrangers. Mais il s'est arrangé pour que sa participation aux rencontres de la Francophonie soit annoncée par ses hôtes étrangers. En 2002, c'est le président libanais Emile Lehoud, pays hôte du 9e sommet de la francophonie, qui lui avait envoyé une invitation dans laquelle il avait écrit: «Après le sommet arabe pour lequel vous m'aviez fait le plaisir d'accepter mon invitation, le Liban accueillera pour la première fois en terre arabe, plus d'une cinquantaine de chefs d'Etat et de gouvernement venus des cinq continents et dont les peuples partagent à des degrés divers une langue, le français.» Vous avez constaté les clauses de style. Emile Lehoud commence par faire un retour sur le sommet arabe. En d'autres termes, langue arabe et langue française peuvent aller la main dans la main. Et ensuite, Emile Lehoud avait pris le soin d'ajouter ceci: «Comme je vous l'avaie dit lors de ma visité dans votre cher pays, je serais particulièrement heureux de vous compter parmi mes invités personnels à ce rendez-vous.» Aucune règle n'est transgressée. En allant vers la Francophonie, l'Algérie, profondément «ancrée dans sa culture et son identité arabes» ne renie ni son histoire ni les autres composantes de son identité (arabité, islam, amazighité) telles qu'elles sont consignées dans la Constitution. C'est justement l'histoire qui semble poser problème, au vu de tout ce qui s'est passé durant la colonisation. Mais la Francophonie n'est pas que cela. Outre cette merveilleuse langue française de Voltaire que nous avons en commun et qui est une partie de nous-mêmes, - au même titre que l'arabe et tamazight - et qui nous permet dans de nombreux domaines d'avoir une vue imprenable sur les affaires du monde, la Francophonie est aussi devenue une institution politique internationale incontournable depuis le sommet de Paris en 1986. Pour le sommet de Ouagadougou qui s'ouvre aujourd'hui, ce n'est pas le palais d'El Mouradia qui donne l'information de la participation du président Bouteflika, mais Jacques Saâda, chef de l'Agence de développement économique pour les régions du Quebec et ministre responsable de la Francophonie, et qui avait effectué une visite à Alger le 8 septembre dernier. En somme, tout en cassant les tabous, le Président de la République sait, quand il le faut et sur les sujets sensibles suivre la politique des petits pas. Mais d'une manière plus générale, c'est le Président Jacques Chirac qui sait se mettre au rythme de son ami d'Alger, lui qui avait déclaré dans le passé: «Il est souhaitable qu'Alger franchisse le pas de son adhésion à la Francophonie». On pourrait lui répondre «Mieux vaut tard que jamais». Au rythme où vont les choses, il ne fait aucun doute que l'Algérie retrouvera la place qui est la sienne, au sein d'un regroupement qui prend du poids dans le concert des nations, d'autant plus que la majorité des pays africains en sont membres, et que des pays arabes dont la voix compte, comme l'Egypte et le Liban, en sont parmi les membres les plus actifs.