Alors que le Moyen-Orient se trouve au bord du précipice et que l'on s'inquiète des développements périlleux induits par la guerre en Syrie sur la sécurité dans le monde, les dirigeants arabes observent un mutisme déconcertant. Il y a de quoi être perplexe face à cette indolence alors qu'un pays arabe brûle et que le péril est à leurs frontières. Néanmoins, cette apathie est-elle réellement étonnante, au final, si l'on excipe du fait que nombre d'entre eux, singulièrement l'Arabie saoudite et le Qatar, n'ont pas été pour peu dans l'allumage de la mèche de la discorde au pays du Cham? Le fait est là: le monde entier a les yeux braqués sur la Syrie, sauf les Arabes qui regardent manifestement ailleurs. Le plus curieux est que des monarchies du Golfe ne font pas moins partie de ladite «Coalition arabo-occidentale anti-EI» en Irak et en Syrie. Ce qui à l'évidence place Doha et Riyadh en position fâcheuse: sponsors et mentors des groupes jihadistes, notamment «Jabhat al-Nosra», qui se retrouvent, dans le même temps, - par «coalition» interposée - bourreaux de jihadistes. En participant à la coalition internationale «anti-EI» les monarchies arabes (l'Arabie saoudite, le Bahreïn, les Emirats arabes unis, la Jordanie, le Maroc, le Qatar, sans le Koweït et Oman) savaient que c'est le peuple syrien qui en souffrirait en priorité. Les monarchies ont donc surtout accédé aux demandes états-unienne et française de donner une couleur «arabe» au combat [qu'elles mènent] contre des groupes jihadistes qu'elles ont elles-mêmes fomentés et financés. Notons ce fait, à tout le moins paradoxal, qu'est la présence d'Israël [par le biais du Mossad (renseignement)] dans la coalition. Cette étrange coalition tout en disculpant l'Occident, justifie, in fine, les frappes qui détruisent peu à peu la Syrie. L'expérience irakienne et syrienne a semblé donner des ailes aux monarchies, consignées toutefois aux seconds rôles dans ces deux pays, qui voulaient montrer leurs capacités militaires: la crise yéménite leur en a donné l'opportunité. Depuis le 26 mars dernier, l'Arabie saoudite a sa propre «coalition» qu'elle dirige contre les rebelles chiites houthis, pour, assure Riyadh, «sauver» le Yémen de l'emprise de «l'Iran». Ainsi, combattre avec de grands moyens militaires contre les chiites yéménites semble plus valorisant pour l'Arabie saoudite que de livrer bataille à Israël qui massacre au quotidien des dizaines de Palestiniens. Il est patent que l'Arabie saoudite n'est pas l'ennemi d'Israël. Le danger, c'est l'Iran, ce sont les Palestiniens et tous ceux qui ne partagent pas les visions que Riyadh se fait des relations inter-arabes et inter-musulmanes. Cependant, si les monarchies ont fait leur choix stratégique de s'aligner sur l'Occident en général, les Etats-Unis en particulier, qu'en est-il des Républiques arabes? Ces dernières demeurent dans l'expectative (elles n'ont ni soutenu, ni condamné les frappes militaires de la coalition en Irak et singulièrement en Syrie, ni contribué d'une quelconque façon à la manière de mettre un terme au terrorisme de Daesh), observent les évènements tout en restant indécises sur le parti à prendre dans une guerre où, à l'évidence, les «républicains» arabes ne jouent aucun rôle. En est-il ainsi de l'irruption de la Russie dans le maelström syrien qui a pris de court les Arabes et laissé sans voix ledit Monde arabe et par effet la Ligue arabe? De fait, à l'exception des réactions de trois pays arabes, les autres n'ont pas estimé devoir exprimer un avis sur cette nouvelle donne. Ainsi, sans surprise, le Qatar et l'Arabie saoudite ont cosigné le communiqué occidental exigeant de la Russie de cessez «immédiatement» ses frappes contre «l'opposition» syrienne et de «concentrer» ses frappes contre «l'EI». Dans ce silence arabe assourdissant, notons que l'Egypte, par la voix de son chef de la diplomatie, Sameh Choukri, a quand même soutenu l'action russe estimant qu'elle «aura un impact sur la lutte contre le terrorisme en Syrie et aidera à l'éliminer». Cela reste peu, très peu. Ces positions antinomiques, exprimées par des représentants arabes, ont toutefois le mérite de souligner le fossé ouvert dans les rangs arabes - la Ligue arabe n'ayant ni les capacités ni les dimensions intrinsèques pour le réduire - qui explicite leur absence sur la scène moyen-orientale et sur des dossiers qui concernent en priorité le Monde arabe, que sont les crises irakienne, syrienne, libyenne, yéménite et le contentieux palestinien en suspens depuis 68 ans. Cela explique aussi la déliquescence profonde où s'est enfoncé le Monde arabe dont les politiques de l'autruche l'ont écarté des affaires internationales et des siennes propres prises en charge par les étrangers. Au moment où le monde avance, la régression dudit «Monde arabe» ne semble pas devoir avoir de limites.