Nous sommes au moins sûr que, contrairement à ce qui était prévu, un sursis de dernière minute a été donné à tous ces squatters, vrais sinistrés, faux sinistrés et faux-vrais-faux sinistrés Vendredi soir, la visite de Bouteflika à Bab El-Oued a redonné un semblant d'espoir aux familles encore installées à l'intérieur de l'APC. Mais la menace d'une «évacuation» plane plus que jamais en ce 15e jour de squattage alors que les opérations de relogement se déroulent en dose homéopathique. Une centaine de personnes - des femmes et des enfants dans l'écrasante majorité - s'entasse dans les pires conditions dans ce réduit de représentativité de l'Etat algérien. Des jeunes femmes nous montrent des eczémas rongeant leurs bras... Le wali délégué de Bab El-Oued leur a demandé de réintégrer leurs habitations en arguant le fait que ces bâtisses n'étaient pas réellement inhabitables. «Si le wali peut, lui et sa famille, passer une seule nuit dans ces bâtiments, alors on y retournera et on la bouclera à jamais», explose cette mère qui tient son enfant de sept mois dans les bras. Une autre ajoute: «Si on était bien chez nous, qu'est ce qu'on ferait alors ici dans ces conditions.» Il s'agit, notamment, des bâtiments portant les numéros 60, 64 et 73 de la rue Colonel Lotfi, parallèle à la rue Rachid-Kouache et abritant 64 familles. «Même tout à l'heure, avant la visite du Président, des agents de l'APC nous ont dit qu'ils allaient nous faire évacuer les lieux», indique, dans un mouvement de colère, une des femmes assises sur des couvertures sales et déchirées. «Bouteflika vient de dire que personne ne touchera un de nos cheveux», dit à son tour une autre qui veut bien espérer... bien que tout semble être joué. Depuis trois jours, ces familles ne reçoivent plus de repas, plus d'eau, et encore bien moins de couvertures, depuis deux semaines... Heureusement que des riverains viennent assister ces familles. Plusieurs familles squattant l'APC de Bab El-Oued ont été relogées, dont certaines de la rue Rachid-Kouache. Mais les sinistrés de la rue Colonel Lotfi attendent toujours. «Qu'ils nous jettent à la mer et qu'on n'en parle plus», s'emporte cette mère. Et même parmi les recasés de Rachid-Kouache, quelques familles sont retournées à l'APC. «Ils nous ont emmenés vers une cité très loin au-delà de Reghaïa, nous avons démarré de Bab El-Oued à 4 h et nous ne sommes arrivés qu'à 7 h», raconte ce vieux couple, dont l'homme, invalide de guerre, est âgé de 73 ans. «Nous ne pouvons vivre là bas, loin de tout, il n'y a même pas un marché, non, c'est impossible.» A l'école Ammara-Ali, jouxtant les immeubles dévastés de la rue Omar-Berazouane, des familles attendent depuis deux semaines qu'on vienne les reloger. Bien que ces hommes et ces femmes nourrissent les plus vives appréhensions quant à ces séances de «lecture» de liste nocturne. «Jeudi soir, des policiers et un représentant de l'APC sont venus annoncer que sept familles allaient être relogées la nuit même», nous raconte ce père de famille en poursuivant: «Les gens étaient contents et ont tout empaqueté, et sont montés dans des bus qui les ont abandonnés en pleine nuit à Kouba. Le commissaire de police de Kouba est intervenu pour évacuer ces familles de la route, et, tout naturellement, elles ont été ramenées vers Bab El-Oued. Mais on leur a interdit de rejoindre l'école, alors ils ont regagné leur bâtiment, au 8, rue Omar-Berazouane, où ces personnes risquent de mourir sous l'effondrement de ces bâtisses.» Les familles qui restent attendent toujours. Les autorités, notamment le wali délégué de Hussein Dey en charge provisoirement de Bab El-Oued, ont proféré des menaces d'expulsion à plusieurs reprises. Les gens que nous avons rencontrés dans l'une des classes occupées sont unanimes à dire: «Ce soir, c'est sûr, ils vont nous mettre dehors!» Samedi matin, aux dernières nouvelles, les écoles et l'APC n'étaient toujours pas évacuées, pourtant l'Académie et la cellule de crise au niveau de la wilaya avaient décidé de rouvrir ces écoles squattées samedi matin.