Très peu de déclarations d'intention auraient été enregistrées par le ministère délégué à la Participation en charge de ces ventes. Aussitôt dit aussitôt fait. Immédiatement après la déclaration d'Ouyahia relative à la privatisation de 1200 entreprises publiques parmi les 1303 que compte encore le pays, le ministère délégué à la Participation de l'Etat, en effet, a rendu publique une liste de pas moins de 900 unités officiellement mises en vente. Une démarche, désormais irréversible, qui dénote définitivement les changements dans les rapports de force entre le gouvernement, d'une part, et son principal partenaire social, de l'autre. Ouyahia avait surpris son monde avec cette annonce alors qu'il était au contraire question d'aider à la relance des entreprises publiques, dans un document dont nous avions fait état dans une précédente édition. La loi de finances abondait, elle aussi, dans le même sens, consacrant une bonne partie des quelque 50 milliards de dollars destinés à l'aide à la relance, à remettre définitivement sur les rails les entreprises publiques les plus viables et qui ont parfaitement fait leurs preuves. A la lecture du nouveau document gouvernemental, celui relatif aux entreprises mises en vente, il ressort qu'aucun secteur n'est épargné par cette «déferlante». Travaux publics, ports, transports maritimes, hôtelleries et tourisme, constructions, agroalimentaire, entreprises locales, manufactures diverses, mines, etc. Il en ressort même qu'Ouyahia n'épargne pas certains secteurs censés être «stratégiques», carrément protégés par l'article 17 de la Constitution. Celui-ci, pour rappel, s'énonce comme suit: «La propriété publique est un bien de la collectivité nationale. Elle comprend le sous-sol, les mines et les carrières, les sources naturelles d'énergie, les richesses minérales, naturelles et vivantes des différentes zones du domaine maritime national, les eaux et les forêts. Elle est, en outre, établie sur les transports ferroviaires, maritimes et aériens, les postes et les télécommunications, ainsi que d'autres biens fixés par la loi.» C'est du reste à cause de cette ambiguïté dans les textes de loi algériens, à laquelle il faudrait ajouter les lenteurs bancaires et bureaucratiques, qu'il n'y a pas de bien nombreux acquéreurs en dépit des prix alléchants, y compris pour la cession d'entreprises très bien portantes financièrement. Il est à rappeler qu'une précédente opération de privatisation, menée par l'actuel conseiller du ministre des Finances, vers la fin des années 90, avait, elle aussi, connu un échec cuisant compte tenu du fait que même les modalités de cession ne sont même pas clairement établies et définies. Ajouter à cela la concurrence déloyale, exercée notamment par les barons des containers qui empêchent l'émergence de toute industrie nationale forte et concurrentielle, qu'elle soit privée ou publique. Bref, de nombreux couacs et réticences persistent, qui font que cette opération de très grande envergure, lancée elle aussi en grande pompe, risque de se terminer en queue de poisson. Pour revenir à la Centrale, Sidi Saïd avait réuni les secrétaires généraux des fédérations au lendemain de la déclaration d'Ouyahia. Face à la colère exprimée par tous contre le «défi» à peine voilé d'Ouyahia, le secrétaire général de l'Ugta avait laissé à tous un délai de deux mois afin de convoquer les assemblées générales des travailleurs, de définir les positions démocratiques qui recueillent une adhésion massive afin d'aller «au charbon» avec le maximum d'atouts de son côté. Il convient de souligner que Sidi Saïd, qui a nettement évolué dans ses positions depuis que la mondialisation est devenue un fait inéluctable, ne s'oppose guère doctrinalement à la privatisation, pour peu que celle-ci ne nuise pas à l'outil de production, aux postes d'emploi et aux différents avantages des travailleurs tels que définis par la loi. Résultats immédiats de la rencontre syndicale qui a eu lieu au début du mois passé : la tripartite annoncée par Ouyahia pour la fin du mois passé a été reportée pour le début de l'année prochaine. Avant cela, la Centrale, qui recevra, dans deux ou trois semaines, les «avis» de l'ensemble de ses fédérations et unions de wilayas, compte aller vers une conférence nationale à laquelle prendront part des experts de différents domaines. Un bras de fer se profile peut-être entre l'Ugta et le gouvernement. Or, nul n'en connaît l'issue puisque l'Exécutif actuel serait en grande partie sur le départ au moment où la fin de mandats des SGP promet de profondes mutations dans le secteur économique national, avec de possibles cessions d'actifs au profit des travailleurs. Le risque, toutefois, reste grand que de grands magnats spécialisés dans des domaines précis profitent de cette conjoncture dans le but d'accaparer les entreprises qui étaient encore capables de leur faire de la concurrence, et d'exercer un monopole de fait sur certains produits de large consommation. Les prémices d'un pareil scénario se font déjà voir dans certains secteurs que les observateurs et les ménagères avertis connaissent parfaitement bien. Pour revenir aux SGP, leur premier responsable, Ahmed Ouyahia en l'occurrence, s'est engagé, dans un document dont nous avons obtenu copie, à communiquer pour ce qui concerne le partenariat, l'ouverture du capital et la privatisation. Il promet également d'informer le partenaire social de l'intérêt exprimé par des investisseurs potentiels à l'endroit de l'entreprise tout en en préservant le caractère confidentiel. L'avis du partenaire social sera, donc, recueilli. Le document ne dit pas, toutefois, s'il sera ou non pris en compte. Et c'est là que réside toute la nuance. Une nuance de taille qui promet un début d'année pour le moins mouvementé.