Si l'on en croit Ouyahia, ce secteur, à liquider au plus vite, n'a aucune chance de survivre face à la concurrence. Le char «privatisant» du gouvernement est, semble-t-il, tellement bien lancé que rien ni personne ne saurait désormais l'arrêter. C'est, du moins, la première réflexion qui vient à l'esprit à la lecture du document élaboré en ce sens par l'équipe Ouyahia et dont nous nous sommes procurés une copie. Intitulé «Remarques sur la stratégie industrielle au niveau des entreprises publiques», au nombre de 1303 pour celles qui dépendent des SGP, le document fait en sorte de ne laisser aucune place à une alternative autre que la privatisation immédiate et à n'importe quelle condition. D'où, du reste, la sortie d'Ouyahia, intervenue quelques jours plus tard, annonçant la prochaine mise en vente de pas moins de 1200 entreprises parmi les 1300 concernées. Avec la minutie qui caractérise le travail d'Ouyahia, lequel salue au passage la «patience» des travailleurs lors de la liquidation de 1000 autres entreprises et la mise au chômage de près d'un demi-million de pères de famille, les arguments en faveur de la privatisation sont développés sur une huitaine de points. Le plus «spectaculaire» d'entre eux, comme de juste, concerne les dettes des EPE (entreprises publiques économiques), lesquelles s'élèvent à pas moins de 880 milliards de dinars, dont, explique le document «207 sous forme de découvert bancaire». Un pareil état de fait, qui ne trouve sans doute pas son unique explication dans la mauvaise gestion ou la concurrence, bien souvent déloyale, place beaucoup de ces entreprises dans une situation de cessation d'activité à cause de l'impossibilité d'acquérir des matières premières ou même de faire tourner correctement les machines. Les contradictions d'Ouyahia Le gouvernement, qui ne veut plus jouer le «père Noël», allant jusqu'à refuser désormais de s'acquitter des salaires impayés, hormis ce qui concerne l'Epih (Entreprise publique d'insertion des handicapés), indique à sa décharge que jusqu'à présent «la facture liée aux assainissements représente presque la quasi-totalité de la dette publique interne, soit près de 1000 milliards de dinars, et plus du quart de la totalité de la dette publique, soit près de 2200 milliards de dinars». Pour effarants et inquiétants que soient ces chiffres, ils ne doivent pas faire perdre de vue aux observateurs, indiquent des sources, qu'«Ouyahia est passé maître dans l'art de les manipuler, afin de leur faire dire n'importe quoi, et d'arriver, en bout de course, aux conclusions souhaitées d'avance».Là où la situation est la plus alarmante, comme du reste n'avait eu de cesse de s'écrier la fédération Ugta, est le secteur de l'agroalimentaire. Ce dossier, à multiples facettes et rebondissements, mérite sans doute un traitement spécifique puisque, en dépit de tout, la sonnette d'alarme a été tirée beaucoup trop tard par ceux-là mêmes qui font partie des conseils d'administration des entreprises concernées, détentrices de créances impayées équivalentes à plusieurs milliards de dinars. Mais revenons aux points soulevés dans le document. Le premier indique que le chiffre d'affaires, actuellement de 622 milliards, n'a progressé en 8 ans que de 8%, ce qui est très négligeable compte-tenu du développement économique national global. Sur ce point précis, le gouvernement remue à souhait le couteau dans la plaie du secteur public en soulignant que le privé «se développe et se développera encore davantage (puisque) une centaine de milliers de nouvelles PME-PMI sont attendues durant les cinq prochaines années». Il faut dire que les cinquante milliards de dollars que compte débloquer le gouvernement durant la même période dans le cadre de l'aide à la relance économique concernaient initialement les entreprises publiques. Ici, la politique est clairement affichée puisque il est question de rompre avec le mythe du «tonneau des Danaïdes» pour consacrer exclusivement cette manne financière inespérée aux infrastructures de base ainsi qu'au secteur privé. Il en va de même, dans le chapitre des «récriminations» retenues contre le secteur public pour ce qui concerne la valeur ajoutée, laquelle n'a progressé que de 16 % depuis 1996, atteignant tout juste 215 milliards de dinars, avec un net ralentissement, souligne le document, constaté dès l'année 1999. Parallèlement, et sans doute dans le but d'illustrer les disparités allant crescendo dans le cadre de la gestion des équilibres financiers de ces entités, les frais de personnels ont augmenté, eux, de 18 % pour atteindre 131 milliards de dinars. Ces données, auxquelles il faudrait en adjoindre d'autres, y compris le fait que la concurrence mondiale est devenue telle que même l'Europe occidentale s'en sort de plus en plus mal, et où la Chine fait face aux difficultés aiguës de deux millions de ses entreprises, il devient évident que l'accès aux crédits, notamment bancaires, se fait de plus en plus chimérique. C'est ce que constate le septième point de ce document qui indique, en substance, que «la masse des crédits bancaires aux entreprises algériennes est passée, entre 1998 et 2003, de 906 milliards de dinars à 1 379 milliards de dinars, alors que dans le même temps, les crédits alloués aux EPE n'ont évolué que de 733 à 791 milliards de dinars, enregistrant ainsi une régression de 81 à 57,4 % du total des crédits accordés». Des chiffres trop «parlants» Ajouter à cela, comme le souligne le huitième point, le fait que les entreprises publiques perdent de plus en plus de parts de marché, ce qui fait que ces tendances générales à la baisse, annonçant d'inéluctables ruines, ne sauraient être enrayées, et poussent tout le secteur public vers sa fin, ce qui rend nécessaire sa mise en vente immédiate, avant qu'il ne soit trop tard pour tous, à commencer par les travailleurs et l'économie nationale. Cette thèse, pour le moins alarmiste, résiste peu à une analyse poussée. Il y a d'un côté, les privatisations «catastrophiques» opérées dans certains pays autrement plus développés que le nôtre, qui devraient pousser les pouvoirs publics à quitter le chemin balisé du dogmatisme économique qui voient qu'il soit de «bon ton» qu'un pays émergent, voulant se faire bien voir des institutions monétaires internationales, développât tous azimuts une politique de privatisation menée à la hussarde. Ce choix est d'autant peu recommandé que l'embellie financière actuelle permet un «sauvetage» relativement aisé de la plupart de ces entreprises, pour peu que la bonne gouvernance et des règles strictes du marché soient instaurées. On s'étonne ici, en effet, que le gouvernement n'évoque à aucun moment dans son document la mafia des containers, pourtant régulièrement fustigée par Bouteflika, qui à partie liée avec la ruine des entreprises publiques, mais aussi de toute l'économie nationale. La plus grande contradiction qu'il convient de relever, enfin, c'est que toute la seconde partie du document, qui évoque notamment le plan d'aide à la relance économique, second du nom, mais aussi la loi de finances 2005, prévoit plutôt de nouvelles aides aux EPE. Où trouver ailleurs une explication à l'annonce faite par Ouyahia, quelques jours plus tard, de la privatisation de pas moins de 1200 entreprises, cela contre l'avis de Benachenhou lui-même, pourtant grand libéral devant l'Eternel? La réponse viendra peut-être à la faveur du bras de fer qui s'annonce ardu entre le gouvernement et son partenaire social, notamment à la faveur de la tripartite, vraisemblablement attendue au mois de janvier de l'année prochaine...