Président de la Commission nationale consultative pour la protection et la promotion des droits de l'homme (Cncppdh), Farouk Ksentini explique avec sobriété son point de vue de l'amnistie générale et les raisons qui l'ont poussé à soutenir ce projet dont le président Bouteflika en a fait l'épine dorsale de sa politique réconciliatrice. L'Expression: Après la loi sur la Rahma, la grâce amnistiante, la concorde civile, le président de la République a remis sur le tapis, à la veille du cinquantenaire de la révolution, la question de l'amnistie générale au profit des terroristes récalcitrants. Comment est-on arrivé à ce stade et quelle appréciation portez-vous sur ce sujet? Farouk Ksentini : Je pense qu'il s'agit, présentement, du cheminement normal et progressif de la politique de réconciliation nationale que le président a mis en oeuvre. On ne peut promulguer une loi sans lui avoir auparavant préparé le terrain. Le projet d'amnistie générale que je soutiens au demeurant, s'inscrit à mon avis, dans le cadre d'un projet de société qui annonce une nouvelle ère dans le pays, où dialogue, pardon et tolérance seront la quintessence. Jusqu'ici, nous avons vécu plus d'une décennie dans la violence et la terreur. Il est temps d'y mettre fin. Il faut savoir que toutes les guerres du monde se sont achevées par des amnisties en faveur de l'une ou l'autre des parties en conflit. Nous devons aller de l'avant et préparer un meilleur avenir pour les futures générations. Certains observateurs de la scène politique soutiennent l'idée que depuis la démission de l'ex-génaral major Mohamed Lamari, connu pour son opposition à toute concession aux terroristes, Bouteflika a les mains plus libres...Votre commentaire. Les deux hommes ont deux visions différentes du règlement de la crise. L'une, militaire, incarnée par l'ancien chef de l'ANP qui a pour principale vocation et exclusive, la lutte antiterroriste sur le terrain. Une approche dont nous avons eu l'expérience d'apprécier dans les années précédentes. A ce propos, je dois dire qu'aucune armée dans le monde et j'insiste là-dessus, n'a eu à combattre 20.000 terroristes. Même la lutte contre le terrorisme mondial engagée depuis le 11 septembre sous la bannière des Etats-Unis, ne fait face à une «armée» pareille. Mohamed Lamari auquel je rends un grand hommage, à la tête de l'Armée nationale, a vaincu militairement le terrorisme. Quant à la démarche du président de la République elle est marquée, notamment par la politique de la réconciliation nationale qui demeure une approche politique. L'amnistie générale reste un projet éminemment politique. Pour autant, le chef de l'Etat semble plus que jamais s'en tenir à la «seule» approbation populaire à travers notamment le recours au référendum... Puisqu'il y va de la responsabilité de l'ensemble des Algériens, la consultation populaire demeure en effet la démarche adéquate. M.Bouteflika n'a eu de cesse au cours de ses sorties publiques de revendiquer l'implication de la société à son projet politique. Car rien ne se fait sans l'assentiment du peuple. A l'annonce de la date du référendum, c'est à ce dernier de voter ou de rejeter le texte juridique. Et l'armée? Les choses sont à mon sens, revenues à leur cours normal. Les missions de l'armée sont définies par la Constitution du pays. En revanche, aucun détail n'a, à ce jour, filtré sur la teneur juridique du texte. Comment interprétez-vous cette «prudence»? Bien que je milite, comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, pour une amnistie qui soit la plus large possible, j'appelle pour autant, à rendre cette loi sélective du moment que certains crimes ne devraient, à mes yeux rester sans suite et absous de toute poursuite juridique. Je pense qu'il s'agit en clair d'une approche appropriée. Maintenant, nous attendons la nature juridique du dispositif si un éventuel débat et autres enrichissements sont prévus à l'annonce de la mouture finale. Peut-on amnistier ceux qui sont coupables de crimes collectifs, d'assassinats et de viols...? En dépit de la sensibilité que revêt cette question, disons que dans les droits de l'homme pour lesquels je milite en tant qu'avocat, le pardon est envisageable tant pour les victimes que pour les coupables. D'autant plus que la notion du crime contre l'humanité n'est pas reconnue par le droit positif algérien. Chose qui facilitera la mise en oeuvre du projet présidentiel. Nombre d'associations de victimes du terrorisme et de familles des disparus ont, d'ores et déjà, rejeté l'amnistie en insistant, coûte que coûte, à traduire les terroristes devant la justice. Quel est votre sentiment? Certes, pardonner n'est pas une mince affaire du fait de la douleur des familles victimes du terrorisme que je partage grandement. Touchées de plein fouet par la terreur, ces mêmes familles ont, en effet, du mal à oublier. Mais au-delà de cette situation, pointent avec insistance les intérêts suprêmes du pays et l'avenir des générations à venir. Il faut, au bout du compte, savoir, sinon, pouvoir pardonner. Sur le plan international, comment peut-on mettre en oeuvre un tel projet, alors que le monde est engagé dans une guerre unilatérale contre le terrorisme sous la houlette américaine? Le fait indéniable faisant de l'Algérie un pays actif dans le dispositif mondial enclenché depuis les attentats qui ont ciblé les Etats-Unis en 2001, ne nous prive pas pour autant d'oeuvrer dans le processus de la réconciliation, a fortiori l'amnistie générale. Rappelons, qu'avant le 11 septembre, ces mêmes nations, les USA à leur tête, exhortaient l'Algérie à négocier alors que celle-ci, sous «embargo» militaire et politique était engagée seule et sans soutien contre la horde terroriste. Je rappelle que nous avons choisi la réconciliation pour que cessent une fois pour toutes les violences. La classe politique semble divisée sur cette question. Les uns se disent favorables, les autres désapprouvent au moment où d'autres formations préfèrent, quant à elles, attendre l'annonce officielle... Il faut dire que la classe politique a été tétanisée au lendemain des élections présidentielles. Plusieurs partis donnent l'impression d'être désorientés. Actuellement, certaines formations se sont déjà exprimes en faveur de ce projet comme le Parti des travailleurs. Une attitude que je salue au passage. Les partis s'expriment en toute démocratie, soit pour dire oui, soit dire pour non. Moi je souhaite qu'ils soutiennent cette loi. Où en est la commission nationale sur les disparus que vous présidez? Le traitement des dossiers contenus dans le rapport que je dois remettre au président de la République est en voie de finalisation. Jusqu'à l'heure actuelle, nous avons étudié 4 000 cas. Nous avons proposé, dans ce cadre, aux familles de bénéficier d'indemnités afin d'atténuer leurs conditions sociales bien souvent difficiles. Nous tenons, vaille que vaille, à les doter de statut de victime pour réhabiliter moralement cette frange de la société. Par ailleurs, nous continuons à demander aux différentes institutions du pays de dire la vérité. Vous savez, on m'a accusé, à tort, de vouloir clore à jamais le dossier des disparus. Je dirais pour répondre à ces griefs, que cette prérogative n'appartient pas à la commission que je préside. Seule la justice est à même de décider du sort des ces milliers de personnes disparues.