Face aux chiffres dithyrambiques d'Ouyahia se dresse le constat plus mitigé du Conseil que préside Mohamed-Salah Mentouri. Jamais complaisant en direction des pouvoirs publics, le Cnes, dans son dernier rapport de conjoncture, ne laisse pas de contredire quelque peu l'auto-satisfecit d'Ahmed Ouyahia, soutenu en cela par les institutions financières internationales. Il est vrai que le gouvernement et ses instances ne peuvent être intéressés que par les paramètres macroéconomiques globaux desquels découlent la stabilité monétaire du pays, les perspectives d'investissements et la solvabilité du pays. Sur ce point précis, le Cnes abonde lui aussi dans le même sens. Nous pouvons lire en effet, dans le rapport de conjoncture qu'«après les bonnes performances de l'année 2003, les perspectives de croissance pour l'année en cours semblent suivre la même trajectoire». Sans omettre de noter le mot «semble» qui vient mitiger quelque peu la tendance, le Cnes n'en tire pas moins la sonnette d'alarme sur la répartition inéquitable des richesses inespérées qui se déversent sur le pays depuis quelques années déjà. Le Cnes, qui croise très souvent le fer avec les pouvoirs publics, au point qu'il avait carrément été question de sa dissolution, il y a de cela quelques années déjà, relève que même «s'il convient de noter les bons résultats de l'économie nationale, les défauts de stratégie dans la conduite des politiques publiques de répartition et d'investissement sont accompagnés d'une montée en puissance des revendications sociales mues par de multiples effets d'annonce». Nul doute que l'estocade est, ici, portée à la déclaration, pour le moins inattendue, du chef du gouvernement concernant la mise en vente immédiate de pas moins de 1200 entreprises sur les 1303 que compte encore le pays. Ce n'est pas pour rien, du reste, si les observateurs s'attendent à un affrontement à fleurets mouchetés entre le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia et le secrétaire général du Cnes Mohamed-Salah Mentouri. La présence d'Abdelmadjid Sidi-Saïd, dont le syndicat détient de nombreux sièges au sein du Conseil national économique et social, ne laissera pas non plus de «pimenter» les débats puisque la rencontre de ce matin sera un avant-goût du bras de fer qui s'annonce entre le gouvernement et son principal partenaire social. Celui-ci, mis devant le fait accompli comme cela ne s'est jamais produit, s'était accordé un délai jusqu'à la fin de cette année avant de riposter à la décision prise en faveur d'une privatisation systématique du secteur public, hormis certaines entreprises jugées «hautement stratégiques». Il est vrai que les rapports de force ont évolué en défaveur de la Centrale depuis la réélection de Bouteflika à la tête de l'Etat avec pas moins de 84,99 % des suffrages exprimés. Bouteflika, dans un discours très marquant, avait eu à annoncer le «désengagement de l'Etat» pour ce qui est de la gestion des entreprises, ajoutant que celui-ci se contentera désormais de jouer «un rôle de régulateur». L'Ugta, contrainte de réviser sa stratégie, partant du constat que la politique de l'affrontement ne peut plus tourner à son avantage, se base de plus en plus sur les débats contradictoires, les rapports élaborés par des experts indépendants et les rencontres cycliques qui ont lieu entre ce syndicat et les différents représentants du gouvernement Ouyahia. C'est partant de ce postulat que les rapports du Cnes prennent leur pleine mesure dans le bras de fer qui s'annonce puisque le Conseil que préside Mentouri, est-il encore besoin de le rappeler, jouit d'un rôle exclusivement consultatif. Pour revenir au document, donc, le Cnes alimente longuement le moulin de l'Ugta en relevant «de nombreux problèmes de restructuration de notre économie». Mieux, ou pire, c'est selon, les problèmes en question «ne semblent pas être tenus au rang de priorité par leur caractère stratégique». L'un dans l'autre, le Cnes cite «les réformes économiques et la privatisation, la modernisation et la mise à niveau des infrastructures économiques, le saut qualitatif dans les systèmes de décision, de gestion, de management et d'organisation et, enfin, le cadre et les instruments de programmation économique». Le reproche en est simple, somme toute. Si, sur le plan macroéconomique, il est difficile de faire mieux, ces gains risquent de s'estomper avec le temps si le gouvernement continue de souffrir cruellement d'un manque de visibilité flagrant dans la conduite des affaires sociales et de la relance économique à l'échelle locale, tant les réformes jusque-là tâtonnantes se sont avérées inefficientes, alors que dans le même temps le «dopage» de la production et de la qualité, seuls garants d'une entrée en force dans les marchés européen et mondial, est avant tout tributaire du pouvoir d'achat, mais aussi du taux de chômage, de la réduction de l'économie informelle, de la concurrence déloyale et de l'évasion fiscale. Le Cnes, qui relève que «l'économie et la société algérienne se situent à un stade crucial de leur évolution», tente ainsi de recentrer le débat sur les vrais enjeux et, partant, des perspectives plus prometteuses et plus réalistes.