Le conseil, qui joue le rôle de garde-fou social, va au-devant d'une grave zone de turbulences. En décidant de déposer sa démission sans crier gare, Mohamed-Salah Mentouri a surpris tout son monde, provoquant des débats passionnés aussi bien sur le devenir de l'organisme consultatif qu'il préside que sur ses éventuelles nouvelles orientations. Tous les membres du Cnes (Conseil national économique et social), dont Mentouri assurait la présidence, joints hier par téléphone, nous ont «à demi-mot» confirmé la nouvelle de cette démission, tombée sur tous comme un couperet. Selon ces sources, «le contenu de la lettre de démission est ignoré par tous, et donc les raisons qui la motivent». Il est possible, ce disant, que le président Bouteflika, une fois de plus, privilégie la transparence dans la gestion des affaires de la cité en rendant public ce document, comme il l'avait fait en 2000 à la suite de la démission, également fracassante de son ancien chef de gouvernement, Ahmed Benbitour. En revanche, nous disent encore nos interlocuteurs, «il ne fait aucun doute qu'il faudrait lier cette décision de démissionner, intervenue à la hâte au récent remaniement gouvernemental». Nos sources, en effet, ne font pas secret des «réserves» de M.Mentouri par rapport à la politique économique, financière et sociale globale suivie par le gouvernement. Il semble, de la sorte, que «la nomination de Mourad Medelci à la tête du ministère des Finances ait été la goutte qui a fait déborder le vase». Le président du Cnes, nous indique-t-on encore, aurait lancé plusieurs mises en garde à propos du second plan d'aide à la relance économique qui, selon lui, risque de demeurer sans conséquences sur les finances, l'industrie et le pouvoir d'achat des Algériens si une meilleure répartition des ressources n'est pas adoptée, et si une vision claire et détaillée des objectifs à atteindre n'est pas établie. Toujours est-il que le départ de Mentouri pose plus de problèmes qu'il n'en résout. Le Cnes, en effet, achevait d'auditionner les ministres dans le cadre de la préparation de son rapport de conjoncture semestriel au moment où son président a décidé de claquer la porte. La question se pose, donc, si la prochaine session ne sera pas retardée, voire carrément perturbée. Il n'est un secret pour personne que le président Bouteflika lui-même n'apprécie guère les activités de ce conseil dont il voulait se débarrasser au tout début de son mandat. La polémique importante qui en avait résulté avait conduit le chef de l'Etat à revenir sur sa décision, d'autant que ce genre de conseils constituent une tradition au niveau de tous les Etats modernes de la planète. Sorte de «mauvaise conscience» de tous les gouvernements, le Cnes a toujours su préserver son autonomie et dresser des rapports de conjoncture extrêmement édifiants sur les insuffisances constatées mais aussi sur la gravité de telle ou telle situation. Le Cnes, dans des études pertinentes et sérieuses, a également été le premier à toucher du doigt la disparition de la couche moyenne algérienne qui faisait la fierté du pays durant les années 70 et 80. Il a également été le premier à tirer la sonnette d'alarme à propos de la progression hallucinante de la pauvreté avec près de dix millions d'Algériens vivant au-dessous du seuil de la pauvreté. Il a également été le premier organisme officiel, quoique ses rapports et études n'ont de valeur qu'à titre consultatif, à mettre en avant les dangers de l'économie informelle, cela bien avant que la tripartite ne décide à son tour de s'y pencher. La question se pose, donc, avec insistance sur les orientations futures que prendra ce conseil dans ses rapports de conjoncture. Elle se pose également par rapport à la succession. D'ores et déjà, nous disent des sources crédibles, le nom de l'ancien président de ce conseil est avancé avec insistance. Il s'agit d'Abdesselam Bouchouareb. Avec le retour en force du RND au sein de la composante gouvernementale, il y a beaucoup de chances pour que cet homme, connu pour être un très proche d'Ahmed Ouyahia, prenne en effet le relais afin d'assurer la continuité de cet organisme indépendant qui a décroché de haute lutte sa crédibilité et ses lettres de noblesse.