Le répit, qui a marqué la situation sécuritaire depuis l'offensive de Falloujah, était trompeur. Chassée de Falloujah à la suite de l'offensive de l'armée américaine du 8 novembre dernier - offensive marquée par un vaste massacre à huis clos - la guérilla irakienne s'est redéployée au nord du pays, reprenant ses attaques et ses attentats tant contre l'armée d'occupation américaine, la Garde nationale et la police irakiennes, cibles privilégiées, que contre les Irakiens travaillant pour l'armée d'occupation ou sous contrat avec les sociétés américaines établies en Irak. Hier dix-sept Irakiens ont été tués au nord de Bagdad par des inconnus qui ont tiré sur eux à l'arme légère alors qu'ils descendaient d'un bus de transport appartenant à une société américaine. Un officier américain a déclaré à ce propos: «Dix-sept civils irakiens travaillant pour une société américaine sous contrat (avec l'armée) ont été tués et treize autres blessés dans une embuscade des forces anti-irakiennes au nord-ouest de Tikrit». De fait, la journée d'hier a été aussi sanglante que celles de samedi et vendredi durant lesquelles plus de soixante personnes ont été tuées, dont au moins dix soldats américains, dans diverses embuscades dans la région du nord où la «rébellion» est très active. Sans énumérer tous les attentats et attaques ayant marqué la journée d'hier, cette activité de la guérilla dément les déclarations optimistes dont faisaient montre les officiels (militaires et politiques) américains, à la suite de l'opération coup de poing menée à Falloujah au début du mois de novembre et le calme qui s'en est suivi. Une offensive que d'aucuns avaient estimé avoir été, en vérité, un véritable massacre à huis clos, les médias n'ayant pas été admis à couvrir les opérations de Falloujah, censées décapiter l'organisation de l'islamiste jordanien Abou Moussab Al-Zarqaoui, mais qui, en fait, outre la destruction de Falloujah, a surtout occasionné la mort de milliers de personnes (officiellement on a avancé le chiffre de 2000 morts mais les observateurs estiment qu'il peut aisément être multiplié par trois, voire plus) en majorité des civils de la ville rebelle qui n'ont pas pu fuir les combats qui s'y déroulaient. En fait, l'opération de Falloujah qui devait, selon ses promoteurs, amorcer le «nettoyage» de l'Irak, s'est avérée être, eu égard à la recrudescence de la violence depuis quelques jours, un échec consommé. De fait, les divers attentats de ces derniers jours ont tous été revendiqués par l'organisation d'Al-Zarqaoui, plus présente que jamais dans le conflit irakien et qui s'est rebaptisée désormais «organisation d'Al Qaîda au pays du Rafidaïn (nom arabe de la Mésopotamie)». C'est dire que la situation loin d'être maîtrisée comme l'espéraient les stratèges de Washington -qui estimaient alors que la résistance à l'occupation serait passagère et que tout devait rentrer rapidement dans l'ordre- ne fait qu'empirer au fil des mois et à mesure que la résistance cumule plus d'expérience. Il est patent que les calculs des faucons de la Maison-Blanche et du Pentagone ont été faussés de même que ceux de leurs sous-traitants irakiens, qui donnent une couverture commode à une occupation américaine qui, en fait, s'installe dans la durée. D'ailleurs, officiers militaires et stratèges politiques affirmaient dans leurs récentes déclarations que l'armée américaine restera en Irak pour une dizaine d'années au minimum. De fait, le secrétaire à la Défense américain, Donald Rumsfeld, reconnaissait récemment que la guérilla était plus sérieuse et mieux organisée que ne le supposaient les experts américains. Ce dilemme, (une résistance irakienne organisée et structurée) qui n'a pas, à l'évidence, été pris en compte comme il convenait, les Américains sûrs de leur puissance, ayant sous-estimé la volonté de résister à l'occupation et les capacités de résistance des Irakiens, complique quelque peu leurs desseins et partant la tenue des élections générales ; Washington tient à ce qu'elles aient lieu à la date fixée, c'est-à-dire le 30 janvier prochain. En effet, un report des élections pour quelque motif que ce soit signifiera surtout l'échec de la politique américaine en Irak. Aussi, Washington pousse à l'organisation du scrutin quelles que soient les conditions sécuritaires prévalant. Toutefois, analystes et observateurs restent sceptiques quant aux possibilités de tenir la consultation électorale à la date arrêtée. En fait, tout, dans la situation prédominant actuellement en Irak s'oppose à la tenue des élections générales, et incite au report, l'insécurité dans le pays ne permettant pas la tenue d'un scrutin qui soit représentatif de la volonté du peuple irakien, même si les autorités militaires américaines et intérimaires irakiennes veulent, en dépit de la réalité du terrain, que cette consultation électorale ait lieu. La réalité brute est que les conditions prévalant en Irak ne se prêtent pas à l'organisation d'un tel scrutin. Ce que vient d'ailleurs de rappeler Lakhdar Brahimi, émissaire personnel du secrétaire général de l'ONU en Irak. Celui-ci, qui s'exprimait à titre personnel, a estimé, dans une interview au quotidien néerlandais NRC Handelsblad, que les élections en Irak dans les conditions de sécurité existantes «est impossible» indiquant toutefois que ce scrutin peut avoir lieu au cas où, d'ici là, «la sécurité était améliorée». Ce qui paraît peu évident à moins de deux mois de la date fatidique du 30 janvier. En réalité, les Etats-Unis se sont enfoncés dans un engrenage qui s'apparente de plus en plus au bourbier vietnamien.