En Allemagne, les ministres du gouvernement Merkel se succèdent à la télévision publique ARD pour mettre en garde contre le risque de se laisser abuser par les fausses pistes que peut utiliser l'Etat islamique pour «radicaliser» le débat sur la question des migrants. En France, où les attentats ont accru les tensions et les inquiétudes, le FN est dans une surenchère des revendications pour baliser la voie du succès aux élections régionales de décembre prochain. Même en sachant qu'une infime minorité de migrants est attendue, comparativement aux autres pays de l'UE, Marine Le Pen demande «l'arrêt immédiat de tout accueil» au motif que ses «craintes et avertissements sur la possible présence djihadiste parmi les migrants (...) sont donc une réalité». Comme à chaque attentat terroriste, et particulièrement ceux-là qui sont le fait de pseudos «islamistes» (des terroristes qui se revendiquent, ab absurdo, de l'islam), la tentation est grande pour les formations d'extrême droite, et parfois concurremment de droite, d'incriminer les choix de l'Etat en matière d'immigration, de critiquer sa politique vis-à-vis de cette religion, de pointer du doigt ceux qui, prétendument, soutiendraient ce terrorisme: les musulmans en général, ou le gouvernement. C'est ainsi qu'au lendemain du 13 novembre, comme au soir du 7 janvier 2015, la même rhétorique a été entonnée, par les dirigeants du Front national, du Mouvement pour la France et certains des Républicains. Tous les experts le disent, la dernière vague d'extrême droite a grandi après le 11 septembre et elle se nourrit, partout en Europe, des craintes liées à l'Islam. Pour tous les mouvements politiques fascisants, les attentats du 13 novembre sont donc du pain bénit. Côté FN, on ne peut pas faire mieux dans la mauvaise foi et la volonté d'user, pour en abuser, d'une assertion qui cadre parfaitement avec le discours récurrent des courants islamophobes et racistes. Avec son gourou, Florian Philippot, Marine Le Pen a lancé la campagne des régionales sous le thème du cheval de Troie. Peu importent les réserves des ministres allemands rappelant, à raison, que ces milliers de migrants fuient ceux-là mêmes qui sont les auteurs des attentats en France, au Liban et en Turquie. Anathème et amalgame restent les outils habituels de l'extrême droite. Fidèle à lui-même, et tandis que les familles des victimes et, avec elles, tout le peuple français, sont encore plongées dans un deuil affligeant, le Front national développe son discours fielleux. Heureusement, il y a des témoignages pathétiques, comme celui de ce malheureux père d'une jeune femme victime de la barbarie terroriste qui frappe tout un chacun, sans distinction de race, de religion ou de nationalité. Avec des mots simples, il a balayé le verbe de haine et de mensonges politiciens, et sa parole en a été d'autant plus bouleversante... La présidente du Front national va profiter, pourtant, de ce drame pour vanter son programme souverainiste: «la France doit retrouver le contrôle de ses frontières définitivement. Sans frontières, pas de sécurité», dit-elle ressassant ses diatribes contre l'Islam et l'immigration: «La France doit interdire les associations islamistes, fermer les mosquées radicales, expulser les étrangers qui prêchent la haine, les clandestins, et les binationaux liés à des opérations terroristes.» Surfant sur les peurs et les souffrances de larges franges citoyennes confrontées à un mal-être socio-économique persistant, l'extrême droite entend exploiter la moindre occasion pour attirer les âmes crédules. A contrario, il appartient aux partis, aux esprits éclairés et aux multiples associations qui oeuvrent pour une France de la liberté, de l'égalité et de la fraternité réelles, de conjuguer leurs efforts pour dire halte à l'amalgame, à l'islamophobie contre-productive, à la xénophobie ambiante. Au cas contraire, il y a fort à parier qu'en décembre, les Le Pen auront de bonnes raisons de se frotter les mains. Et ce sera aussi cela, le succès de l'Etat islamique, qui, en s'attaquant à des innocents dans un stade, une salle de spectacle ou un restaurant, aura apporté un coup de pouce inespéré aux tenants du racisme et de l'islamophobie, non seulement en France mais dans d'autres pays européens.