Qu'est-ce que l'islamophobie ? Quels sont ses ressorts ? Pourquoi se banalise-t-elle alors que les actes qui lui sont imputés sont en recrudescence. Ce dossier que nous consacrons à l'islamophobie ne prétend pas à l'exhaustivité, il esquisse une problématique controversée et sensible qui se pose à la société française. Nommer et identifier un problème ne peut que contribuer à sa résolution, comme l'affirment chercheurs et universitaires qui se sont penchés sur son étude. L'islam : le mal-aimé de la classe politique française L'islamophobie est devenue un racisme acceptable en France, à en croire les sondages d'opinion qui font état d'une forte inquiétude en France par rapport à la visibilité de la religion musulmane. Plus de 70% des Français ont une mauvaise image de l'islam. Selon le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), membre consultatif des Nations unies, «les actes islamophobes envers les institutions et les individus ont augmenté de 57,4% entre 2010 et 2012». La cause principale de ce racisme antimusulman galopant, c'est le discours politique, véhiculé par la droite, toutes tendances confondues, et par une certaine gauche dite «laïque». Ainsi, Marine Le Pen, présidente du Front National (FN), qui focalise tout son discours contre l'immigration et l'Islam, est portée par des sondages flatteurs de plus 30% de sympathisants. Sa nouvelle posture de femme politique fréquentable, voire admirée, est tellement confortable qu'elle veut désormais saisir la justice pour s'innocenter de l'étiquette d'extrême-droite. Celle qui a ouvertement fait le parallèle entre les prières de rue et «l'occupation nazie» de son pays bénéficie d'une grande campagne médiatique de dédiabolisation depuis la présidentielle et les législative de 2012. La droite républicaine se voit obligée de réagir. Mais pas dans le sens où la communauté musulmane pouvait l'espérer. Après Jean-François Copé, président l'UMP, et son pain au chocolat, François Fillon, ancien Premier-ministre sous Sarkozy, trouve un moyen de déclarer implicitement qu'il pourrait faire des alliances électorales avec le FN. En réalité, la droite veut «chiper» au FN un discours qui séduit de plus en plus de Français, surtout dans le contexte de crise économique et social. Le Pen fille, fidèle au père, renvoie tous les maux sociaux et économiques à l'immigration. Lors de l'affaire Merah, elle a fait volontairement un amalgame entre immigration et terrorisme, alors que l'assassin est né, a grandi et a été éduqué en France. L'immigré maghrébin paye encore une fois le prix de l'intolérance de politiciens en manque d'inspiration, comme durant les années soixante-dix. C'est juste un remaniement de clichés. On passe d'«arabe fainéant, voleur de mobylette» à «islamiste voulant appliquer la charia». Encore, s'il n'est pas considéré simplement comme «un terroriste potentiel», juste en épelant son nom. Il suffit de se prénommer Mohamed & Co pour être casé dans un statut de «présumé musulman», et donc nécessairement d'une manière très péjorative, vu comme un sous-citoyen dont les comportements et les actions sont forcément dictées par sa religion. Cette espèce de pensée unique politico-médiatique justifie la haine des Français lambda envers les barbus et les femmes voilées. C'est le fond même du terme islamophobie, au-delà des actes violents comme les agressions des femmes voilées (quatre cas signalés en juin dernier), la profanation des cimetières musulmans et la dégradation des mosquées. «LePen-mania», «Valls-mania» Après le débat sur l'identité nationale en France et le vote en 2011 de l'interdiction du voile intégral (burqa), Marine Le Pen poursuit le travail entamé par son père et Nicolas Sarkozy. Elle ne cesse d'alimenter des polémiques autour du hidjab, la viande halal et les prières de rue. Au final, le FN laisse entendre et rappelle que l'Islam est une religion étrangère à la France. Pour Le Pen, un citoyen musulman (de naissance, immigré ou reconverti) est toujours un peu trop musulman pour être un bon citoyen. Ayant crainte de cette ascension effrénée de la popularité des thèses «lepenistes», électoralement gênantes, surtout que les solutions économiques pour séduire se font très rares, la gauche libérale, majoritaire au Parti socialiste, veut sa part du marché électoral pour les municipales de 2014. Cette bataille «droitière» du PS est menée par son plus fort ministre aux sondages, Manuel Valls, qui est accrédité de plus de 75% d'avis favorables (Institut BVA). Le ministre français de l'Intérieur prend en main les thèmes chers à la droite et à l'extrême-droite : la sécurité et le terrorisme, la question de l'immigration et les Roms, et enfin la place de l'Islam dans la société française. En juillet dernier, le quartier de Trappes (près de Paris) a connu de fortes violences urbaines suite à un contrôle d'identité d'une femme portant la burqa, jugé abusif par les habitants. C'est ce qui a relancé le débat sur l'islamophobie. Valls, lui, ne veut pas entendre parler de ce terme. Il le réfute catégoriquement en indiquant que «l'islamophobie est le cheval de Troie des salafistes» puisque, dit-il, «ce mot est inventé par les mollahs iraniens» pour imposer leur idéologie. Plus récemment, le 4 octobre, il a déclaré que «l'un des plus grands défis de la France et de l'Europe c'est d'assimiler et d'intégrer l'Islam». C'était à l'occasion de l'adoption par le Conseil de l'Europe d'une résolution définissant la circoncision des garçons (musulmans et juifs) pour motif religieux comme une «violation de l'intégrité physique» des enfants. L'Islam est-il à ce point incompatible avec la démocratie européenne ? Encore un gagne-pain de politiciens en quête d'électeurs «bon marché», comme ce fut le cas avec les Juifs et depuis quelques années avec les Roms. «Imposer un faux débat pour éviter le vrai», une équation politique qui a toujours fait ses preuves en temps de crise socioéconomique.