Un comportement indigne d'une représentation nationale Hier, alors que l'opposition criait au hold-up, le gouvernement a assumé ses choix politiques et les a défendus mordicus. Bons ou mauvais, le temps nous le dira. Scènes inédites. La séance de vote de la loi de finances 2016 qui s'est tenue hier à l'Assemblée populaire nationale s'est transformée en une véritable foire d'empoigne entre l'opposition, représentée par le PT, le FFS, l'AAV, le FJD et El Bina, et les partis qui soutiennent le gouvernement, notamment le FLN et le RND. Ces deux partis à eux seuls constituent la majorité parlementaire. Comme il fallait s'y attendre, ladite loi est passée comme une lettre à la poste avec en sus des applaudissements de ses partisans. Mais du côté de l'opposition, c'était un coup de massue sur la tête. Les dénonciations fusaient de toutes parts et le lexique usité a été «riche»: «Mafia», «mafioso», «cercles mafieux», «oligarchie», prédateurs», «siphonage des deniers publics», «sous-traitance au profit des affairistes», «trahison du message de Novembre», «atteinte à la souveraineté populaire», «assassinat de la souveraineté nationale», etc., étaient autant de phrases par lesquelles les députés de l'opposition exprimaient leur rejet catégorique de la loi de finances 2016. Des échanges d'accusations très virulentes. Mais derrière cette colère, «légitime» dit-on, se cachent des éléments très précis sur la nature «prédatrice» de cette loi. Selon Nadia Chouiten, député du Parti des travailleurs, «la loi de finances 2016 est une fabrication de l'oligarchie et profite exclusivement à celle-ci». «Plusieurs articles de cette loi touchent à la souveraineté de l'Etat et au caractère social de la République Algérienne. Les articles 14, 15, 50, 66, 71 en sont une parfaite illustration. Pire encore, le président de la Commission des finances nous a censurés et a refusé d'inscrire dans le PV certaines de nos propositions,», a-t-elle relevé en précisant que «l'adoption de cette loi constitue un véritable hold-up à l'encontre de la souveraineté nationale au profit de l'oligarchie dont les appétits sont de plus en plus voraces et la démarche de plus en plus décomplexée». Amar Khebaba, député du Front pour la Justice et le Développement, a, lui, fait savoir que la commission des finances de l'APN a subi des pressions terribles lors de l'élaboration de son rapport. «Selon lui, plusieurs députés du FLN étaient contre certaines dispositions de la LF 2016 avant de changer d'avis sous la pression des hommes d'affaires. Cette loi constitue une négation de l'appel du 1er Novembre». Kaloun Rachid, député de l'AAV, a quant à lui, dénoncé vigoureusement cette loi qu'il considère comme étant une mise à mort des prérogatives de l'Assemblée nationale». Par un coup d'esquive, nous voilà en plein à l'intérieur de l'hémicycle. Le débat s'apprête à commencer. Les groupes du FLN et du RND semblent sereins et attendent l'ouverture du bal par le chef de la séance, tonton Ould Khelifa. Les slogans d'autrefois... Les parlementaires du FFS, excités, se mettent à entonner des chants patriotiques, des slogans que ce parti a, depuis quelques années, mis aux oubliettes» Djazair Houera démocratia», «La li al Aar, ils ont vendu l'Algérie au dinar», etc. Le groupe du PT, des pancartes pleines les mains, encercle la reporter de la séance. «A bas le totalitarisme» est le maître-mot des militants trotskistes. Ould Ali El Hadi, le tout frais ministre de la Jeunesse et des Sports, embarrassé par ces cris d'indignation, esquisse un geste qui, visiblement, déplait à Nadia Chouiten, députée du PT. Celle-ci se déchaîne: «Ayez honte, monsieur le ministre!». Discrètement, Rachid Halet, membre du présidium du FFS, debout et serein comme une ombre, est apostrophé. «Le FFS est contre toute la LF 2016 ou s'oppose à certains articles seulement?», questionnons-nous. «Nous sommes contre toute la loi. Nous nous opposons à sa philosophie, à son esprit qui est antinational et antisocial». répond-il. Les cris de «Djazaïr sociale et démocratia» coupent court à nos échanges. Faufilage entre les rangs. Tout le monde sur le qui-vive. La colère envahit les visages, y compris les frimousses de quelques dames habituellement inoffensives. Boom. Illico presto, des empoignades, éclatent et la foire de l'assemblée commence. Un vrai spectacle. Ce n'est plus une chambre d'enregistrement c'est une scène de théâtre. La séance de vote est promise à l'irréparable. Toutefois, les appels à la sérénité se faisant de plus en plus insistants, un calme relatif s'installe et le bal s'ouvre. Les journalistes, sont invités à quitter l'hémicycle. Froidement. Dans le hall, l'atmosphère n'est pas moins tendue. Quelques députés y déambulent, l'air hagard. Pensif. Interrogé sur le pourquoi de son rejet de cette loi, Habib Zeddad, député de l'Union démocratique et sociale, parti non encore agréé, une pancarte sur laquelle est écrit «Arrêtez le pillage des deniers publics», a d'emblée qualifié la LF 2016 de «loi de la honte». «Au lieu d'essayer de récupérer l'argent qui a été détourné dans les différents scandales de corruption (Sonatrach1, Sonatrach 2;, l'autoroute Est-Ouest, etc.), le gouvernement est en train de demander au peuple de serrer la ceinture. C'est honteux. On soutient les prédateurs et on met la pression sur les couches les plus fragiles», a-t-il dénoncé. M.Zeddad, se sachant minoritaire au Parlement, a cependant tenu à préciser que la majorité FLN est une fausse majorité puisqu'elle ne représente que 1,2 million d'électeurs alors qu'il en existe 22 millions en Algérie, soit, même pas 10%. Les députés de l'opposition, sachant le sort réservé à leurs requêtes, affichaient une mine à la fois déçue et révoltée. Le temps passe. Les écrans plantés sur les murs du hall diffusent des cris de toutes sortes: injonction, prière, colère, fureur. 15h00. L'intervention d'Abderahmane Benkhalfa met de l'huile sur le feu. L'article 66 sera maintenu. Indignation. Colère. Tous les députés de l'opposition sortent. Point de presse improvisé. «Un virage dangereux est en train de se faire dans le pays. Les prédateurs ont envahi toutes les institutions de l'APN. Les députés sont devenus, pour la majorité, de simples valets au service des oligarques et des barons de l'argent sale», fulmine Chafaa Bouaiche, chef du groupe parlementaire du FFS avec l'appui de Lakhdar Benkhelaf du FJD et Ramdane Taâzibt du PT. Ould Khelifa: l'homme au sang-froid Ce dernier, rappelant que son parti qui alertait sur les dérives du gouvernement qui se mettait depuis longtemps déjà sous la botte de l'oligarchie, affirme que le PT n'exagère pas. «Le PT n'exagérait pas en dénonçant la privatisation de l'Etat. Aujourd'hui, on le constate sur le terrain. «L'Article 66 de la LF 2016 a été supprimé par la Commission des finances, mais le ministre des Finances est intervenu et l'a imposé au vu et au su de tout le monde et contre la volonté du l'Assemblée. Décidément, l'oligarchie ne s'encombre d'aucun scrupule. Elle ne compte reculer devant rien. Mais nous non plus nous n'allons pas reculer et nous allons sortir dans la rue», a-t-il tonné. Simultanément, au milieu de cette foule, un député du Parti El Bina distribue une déclaration commune signée par le PT, El Bina, le FFS, l'AAV et dans laquelle ces partis expriment ouvertement leur rejet collectif de la LF 2016. Juste après, suite à un signe des chefs des groupes parlementaires des partis de l'opposition, une occupation du boulevard donnant sur la mer a été enclenchée. La foule des policiers était massive mais sereine, gestion démocratique des manifestations oblige. Retour dans le hall. Le tout-puissant boss du FLN, Mohamed Djemai, mord une cigarette. Apostrophé, celui-ci s'est montré pas du tout embarrassé par les attaques virulentes qui ciblent son parti, le FLN, le gouvernement et, dans une certaine mesure, même sa personne. «C'est ça la politique», résume-t-il, presque arrogant. Mais pas seulement. Il se défend et défend la LF 2016. «La LF 2016 va assurer à l'Algérie le maintien des équilibres financiers et budgétaires d'une part, et encourager l'investissement d'autre part. On ne peut plus fonctionner avec une économie mono-exportatrice», a-t-il indiqué avant de s'excuser pour aller rejoindre son siège. La séance s'est levée en fin d'après-midi avec l'adoption de la LF 2016. L'opposition qui, pour la première fois, s'est entendue sur une même position, s'est dit contente d'avoir réussi à faire de son rejet catégorique de cette loi un évènement national en portant à la connaissance de la population les dérives qu'elle contient. Mais sa bataille est perdue. Va-t-elle continuer la guerre qu'elle mène contre ce qu'elle appelle l'oligarchie? Peut-être et peut-être pas. Les chois que fait le gouvernement, bons ou mauvais, font déjà du chemin. Ils profitent peut-être à «l'oligarchie» et cela peut sembler politiquement dangereux pour l'opposition. Il faut dire que le président de l'APN Larbi Ould Khelifa a eu fort à faire hier. N'était-ce son sang-froid et sa sagesse, il n'aurait pas pu gérer une plénière sur une loi de finances exceptionnelle dans des circonstances économiques exceptionnelles et dans un environnement régional tout aussi exceptionnel. C'est dire que le pouvoir assume ouvertement ses choix politiques. Assumer un choix politique et le défendre, n'est-ce pas l'essence de la politique? Visiblement, la finance, le nerf de la guerre, a réinventé hier la politique à Alger.