Les régions agropastorales habitées ou traversées par les nomades et le bétail sont les plus exposées. Il serait judicieux de jeter un coup d'oeil sur les bulletins de renseignement quotidiens que diffuse chaque jour le commandement de la Gendarmerie nationale. Bon an, mal an, près de vingt personnes sautent sur des mines datant de l'époque coloniale. Ceux qui ont la chance de survivre sont mutilés et handicapés à vie. Le long de la «ligne Challe et Morice», aux frontières est et ouest de l'Algérie, des citoyens continuent de mourir, malgré toutes les indications mises sur sites par les militaires. Tébessa et Mecheria sont les régions les plus touchées par les vestiges de la guerre de Libération, mais en l'absence de statistiques fiables, les services des anciens moudjahidine estiment à, au moins, «vingt personnes», le nombre de personnes qui sautent sur des mines chaque année et à un peu plus «ceux qui en gardent des séquelles à vie». Souvent ce sont des nomades, des bergers ou des personnes isolées qui traversent des zones infestées par les mines et sautent sur l'une d'entre elles. Le bétail fait aussi les frais de ce fléau, et parfois une chèvre ou un mouton passe sur une mine et provoque une explosion qui tue et blesse plusieurs autres. Les régions agropastorales habitées ou traversées par les nomades, les bergers et le bétail, restent très exposés au risque, d'autant plus que ces mêmes régions, marquées par l'armée et fuies par les populations sédentaires, deviennent vite de véritables zones de transhumance où pousse la végétation, invitant insidieusement bergers et bétail à un festin garanti, mais à très haut risque. Lors de la destruction publique des mines antipersonnel détenues par l'ANP, il y a une quinzaine de jours à Dhaïat Labkhour, à 70 km au nord-ouest de Djelfa, le chef d'état-major Gaïd Salah, estimait à 11 millions le nombre de mines enfouies sous terre par l'armée coloniale avant 1962 et à 8 millions celui qui a été détruit depuis quarante ans à ce jour. «Mais, hélas, il reste un plus de 3 millions de mines antipersonnel qui guettent encore les civils». Dans le document élaboré par le ministère de la Défense nationale, on peut y lire: «Les frontières algériennes de l'Est avec la Tunisie et de l'Ouest avec le Maroc ont fait l'objet de verrouillage par l'armée coloniale qui avait procédé à l'installation de barrages de mines dénommés «ligne Challe et Morice» au moyen de mines à pression antipersonnel indétectables de type APID-51 (mines encrier) et de mines antipersonnel métalliques bondissantes de type APMB-51/5 détectable». Ce verrouillage débute par la réalisation d'un tronçon expérimental de 5 km à la frontière ouest au début de l'année 1957 puis se généralise à partir de juin 1957. Concernant la localisation des zones minées, l'ANP a depuis longtemps dressé une carte géographique et fait ressortir les zones minées par l'armée coloniale en 1957-59, et dénommées «ligne Challe» et «ligne Morice» et s'étendant sur près de 14.000 km aux frontières est et ouest du pays. La densité de ces mines varie de 0.8 à 3.5 par mètre linéaire. L'état-major de l'armée avait tracé au 15 janvier 2003 une carte où ressortaient clairement les zones infestées, tant à l'est qu'à l'ouest du pays et estimait la densité des mines sur les frontières entre 0,8 et 3,5 par mètre linéaire. A la frontière est, la ligne Morice (1957-1958) s'étend sur une distance de 460 km allant de Annaba à Negrine en passant par Souk Ahras, Tébessa, El-Mabioud et Bir El-Ater. La ligne Challe (1958-1959) s'étend, elle, d'Oum Tboul à Souk Ahras, en passant par El-Ayoun, El-Kala, Aïn El-Assel, Taref et Bouhadjar. Elle se prolonge vers le sud en passant par El-Kouif jusqu'à Negrine. A la frontière ouest, les deux lignes, Morice (1958) et Challe (1959) s'étendent sur une longueur de 700 km, de Marsa Ben M'hidi à Béchar, en passant par El-Aricha, Mécheria, Aïn Sefra, Djenane Bourezgue et Beni-Ounif. Les plus répandues et les plus meurtrières de ces «mines de quarante-six ans» sont les APID 51 et les bondissantes APMB-51/5, qui ont été les plus utilisées par l'armée française. La difficulté de déminer certaines zones (30 km à l'est et à l'ouest) ainsi que l'existence de zones qui n'ont pas encore été déminées à ce jour (près de 200 km), ne représentent presque rien à côté des zones totalement déminées par l'armée algérienne (740 km à l'est et 220 km à l'ouest), mais restent encore pleines de péril. Et tueuses pour les citoyens isolés.