Ces engins de mort ont un pouvoir destructeur effrayant. 11 millions est le nombre de mines enfouies sous terre par l'armée coloniale à partir de juin 1957 et un peu plus de 8 millions, celui qui a été détruit depuis quarante-deux ans; mais il ne faut pas se leurrer, les mines antipersonnel représentent toujours une menace vraie pour les citoyens. Du recensement établi le 19 juin 1996, lors du séminaire de Naâma, par les chercheurs du Centre national d'étude et de recherche, les autorités publiques algériennes estiment à environ 1,3 million de mines disséminées encore le long de nos frontières s'étendant sur près de 1400 km dont 913 le long de la frontière est sur une distance de 460 km allant d'Annaba à Négrine en passant par Souk-Ahras, Tébessa, El Mabiod et Bir El Ater et 42.000 autres à la frontière ouest s'étendant sur une longueur de 700 km, de Marsa Ben M'hidi à Béchar en passant par El Aricha, Méchria, Aïn Sefra, Djenane Bourezgue et Béni Ounif. Les plus répandues et les plus meurtrières de ces mines de quarante-six ans sont les Apid-51 (mines encrier) et les bondissantes Apmb-51/5 qui ont été les plus utilisées par l'armée française. Ces engins de mort ont un pouvoir destructeur effrayant, même après l'indépendance. Ils ont provoqué immanquablement des pertes humaines considérables surtout les enfants et les bergers. Bon an, mal an, près de vingt personnes sautent sur des mines datant de l'époque coloniale ; ceux qui ont la chance de survivre sont mutilés et handicapés à vie. Le moins que l'on puisse dire après quarante-six ans est que ces engins demeurent actifs, c'est là le noeud gordien du problème, leur histoire est assénée par les stigmates de ravages divers et fréquents durant des décennies entières. Handicapés à vie En effet, dans la journée du vendredi 18 mai 2001, dans la mechta d'El Fédène (commune de Ouled Driss, wilaya de Souk-Ahras), l'explosion d'une mine antipersonnel a fait trois morts et deux blessés. Croyant avoir affaire à une sorte d'objet inoffensif, trois enfants la ramenèrent chez eux, et c'est à l'intérieur du domicile familial que la mine explosa entre leurs mains, tuant sur le coup deux enfants, âgés de 12 et 5 ans, et leur frère Rahim 3 ans, décéda lors de son évacuation vers l'hôpital. Un autre exemple à citer, dans la journée du 16 décembre 2004, dans la localité d'Aïn El Hedid, wilaya d'Aïn-Témouchent, un jeune enfant de 13 ans, berger de son état, joue avec une mine qu'il a trouvée alors qu'il faisait paître ses bêtes dans les pâturages. L'enfant a eu un bras sectionné et son visage défiguré par l'explosion. La victime décéda au cours de son transfert vers l'hôpital de Frenda. De l'indépendance à ce jour, les mines antipersonnel enfouies par l'armée française le long des lignes «Challe» et «Maurice» aux frontières est et ouest de l'Algérie, ont fait des milliers de morts et de blessés. Ces engins de mort sont susceptibles de provoquer le plus de ravages possibles sur le corps humain, les mines individuelles arrachent un pied alors que les mines collectives contenant 400 morceaux de fer, déchiquettent sur plus de 60 m² ; un simple contact les fait exploser en corollaire. Ils tuent une fraction importante de personnes isolées. Il n'y a pas uniquement les citoyens qui sont touchés par ces mines, mais le bétail fait aussi les frais de ce fléau; souvent un mouton, un chacal, passent sur une mine et provoquent une explosion qui tue et blesse plusieurs autres. Les nombreuses opérations de grande envergure qui ont été entreprises par l'ANP pour le déminage des zones entre 1957 et 1959 et qui ont abouti à éliminer des centaines de milliers d'engins de mort, n'ont pour autant arrêté l'hécatombe. Est-ce à dire qu'on est parvenu à éliminer toutes ces mines? Certes non, il y a de péril encore, et jusqu'à ce jour, des citoyens continuent de mourir malgré toutes les indications mises sur sites par les militaires, plus précisément en 1964; les victimes de cet infernal arsenal se comptaient par milliers entre morts et blessés. Tébessa et Méchria sont les régions les plus touchées; selon une source crédible, 3 600 victimes ont été dénombrées depuis 1962 dans la région de Tébessa. Opération de déminage Le directeur des moudjahidine, contacté par notre journaliste, a fait état de 659 victimes recensées qui bénéficient d'une pension mensuelle en fonction du taux d'invalidité. Un nombre très en deçà de la réalité selon un mutilé interviewé par nos soins, M.A.Moussa qui explique que: «Beaucoup d'autres victimes qui ignorant leurs droits, n'ont pas été recensées jusqu'à ce jour, d'autres personnes tuées par les mines antipersonnel des zones isolées ont simplement été enterrées, sans que les autorités, dans beaucoup de cas, le sachent». Dans ce contexte, toujours dans la wilaya de Tébessa, la région d'El Mabiod, une zone agropastorale, a perdu 78 personnes, victimes de ces engins de mort entre 1962 et 1978. Un peu plus loin, vers le sud, dans la région de Bir El Ater, le nombre de victimes recensé a atteint 146, de l'indépendance à ce jour, idem pour la région de Ouled Driss (wilaya de Souk-Ahras), touchée particulièrement de plein fouet par ce phénomène qui a fait, selon le président de l'association, M.Guerfi Abdelkrim: «511 victimes recensées après 1962, chaque mutilé perçoit mensuellement 4 230 DA», représentant des miettes, selon notre interlocuteur, car ces citoyens victimes des mines sont les premiers à payer un lourd tribut à cause des champs de mines après l'indépendance. Ce dernier demande que le taux de la pension d'invalidité soit relevé de 65 à 100%. Ces personnes mutilées ont adressé des missives aux plus hautes autorités du pays, réclamant leurs droits, mais toutes leurs démarches sont restées lettre morte, gardant ainsi des souvenirs lancinants des engins explosifs. De même, il est à noter qu'à Souk Ahras-ville, ce fléau a fait des ravages en 1963, l'hôpital régional a recensé 1100 pieds de mines (terme utilisé communément à l'époque par le personnel hospitalier de la région). Selon la direction des moudjahidine de la wilaya de Tlemcen, il existe 119 mutilés depuis l'indépendance. La question qui reste toujours posée quant au nombre important de mines existant dans le sol, sur des zones qui n'ont pas encore été déminées explicitement, on connaît mal leur endroit, de surcroît indétectables car elles peuvent être déplacées par les glissements de terrain ou les tempêtes. Certes, des zones ont échappé au déminage (près de 200 km) qui a connu un frein suite à la lutte contre le terrorisme ces dernières années ; cependant, selon des sources crédibles, l'ANP compte entreprendre prochainement des opérations de déminage de haut vol pour nettoyer les zones encore exposées au péril.