La Turquie savait-elle dans quel engrenage elle s'engageait en abattant l'avion de chasse russe? On peut préjuger que oui, un risque calculé pris par les autorités turques qui, sans doute, s'estimaient au pied du mur. Toutefois, le président turc, Recep Tayyp Erdogan, contrarié par l'intrusion de la Russie en Syrie - qui paraissait être l'arrière-cour de la Turquie - semble avoir mésusé de ses forces et de ses atouts. La violence même, d'abord verbale, avec laquelle la Turquie avait accueilli le concours accordé par Moscou à la Syrie [à la demande du gouvernement de Damas] militaire ensuite, par la destruction d'un avion de chasse SU 24 russe - sous l'accusation de franchissement de la frontière turque - était parfaitement démesurée induisant maints questionnements. En effet, cette attaque contre l'avion russe était à tout le moins inattendue, excessive par rapport aux faits incriminés et inconcevable si l'on excipe du fait qu'Ankara et Moscou combattent, du moins en théorie, le même adversaire: le terrorisme. Quel que soit par ailleurs l'appellation sous laquelle il se manifeste [Daesh, Al Qaîda, al-Nosra et les multiples groupuscules se réclamant de l'idéologie extrémiste] mettant la région à feu et à sang. Depuis le début des évènements de Syrie, la Turquie, en fait le président Erdogan, voulait la tête de son homologue syrien, Bachar al-Assad, quel qu'en soit le prix à payer, allant jusqu'à pactiser avec le diable pour ce faire. Toutefois, l'activisme d'Ankara, ses alliances et positions controversées, paraît outré et injustifié cachant mal des velléités mal exprimées. De par son aide à la rébellion en Syrie, la Turquie avait de fait contribué à l'aggravation de la situation dans un Moyen-Orient déjà très mal en point. Principal soutien [avec la France] de la rébellion syrienne, la Turquie n'hésite pas à sous-traiter pour les rebelles contre un gouvernement souverain. La guerre imposée à la Syrie et au peuple syrien, donnait de fait à Ankara et singulièrement au président Erdogan de jouer au chef d'orchestre d'une région dont il vise sans ambages le leadership, quitte à cautionner les inqualifiables crimes que les rebelles commettent contre le peuple syrien. Dans cette partie de poker menteur, Erdogan joue un jeu dangereux et risqué escomptant tirer les marrons du feu. Alors que le «jeu» des différentes parties (Occidentaux, Russes et Iraniens) au conflit syrien était, peu ou prou, prévisible, c'est loin d'être le cas d'Ankara dont la position était marquée par l'ambiguïté et le non-dit. Seul membre musulman et asiatique de l'Otan, la Turquie a toutefois mis peu d'empressement à rejoindre la coalition formée par des pays occidentaux (notamment les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France) et monarchiques (Arabie saoudite, Qatar, Jordanie, Emirats arabes unis) censés combattre ledit «Etat islamique» (Daesh). Nous relevons [sans surprise] que les pays cités sont ceux-là qui ont le plus agi dans le sens du point de non-retour en Syrie par le soutien multiforme à la rébellion. La Turquie qui a longtemps boudé la coalition dite «internationale» contre Daesh, condamnant mollement les exactions du groupe «Etat islamique» en Syrie et en Irak (cf; les égorgements télévisés des otages) reprend donc subitement ses esprits et part en guerre contre Daesh mais surtout contre le...PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). C'était en juillet 2015, suite à l'attentat meurtrier de Suruç, revendiqué par Daesh. C'était sans doute le prétexte qu'Ankara attendait pour mettre fin à une trêve de deux ans laborieusement négociée (avec son ennemi séculaire) en bombardant des cibles du PKK en Turquie et dans le nord de l'Irak. Durant cette période (juillet-août 2015) l'armée turque, selon la presse locale, avait bombardé deux cibles de Daesh pour une centaine du PKK. De même, la Turquie n'a pas levé le petit doigt pour venir en aide à la population kurde syrienne de Kobané - sous le feu de Daesh - accusée de sympathiser avec le PKK, taxant de terroriste le parti kurde syrien, le PYG accusé d'être une annexe du PKK. De fait, Ankara avait estimé Daesh, moins dangereux que le PKK. Notant toutefois cette étrangeté: la Turquie qui entretient «d'excellents» rapports avec les Kurdes irakiens, se décline en ennemi implacable des Kurdes turcs et syriens. Comment interpréter le fait que dans le même temps Ankara qui refuse l'autonomie à ses Kurdes et aux Kurdes syriens, travaille en coordination avec les Kurdes irakiens jusqu'à y faire stationner un contingent militaire? De fait, Baghdad à sommé dimanche Ankara de retirer sans délai ses militaires du nord de l'Irak. En réalité, la politique tortueuse d'Erdogan a fait le lit de Daesh. D'aucuns n'ont manqué de relever la complaisance, qui frisait la connivence, des autorités turques envers Daesh. Photos satellites à l'appui la Russie, a montré comment le pétrole syrien (volé par Daesh) transitait par les ports turcs. Ce que sans doute Ankara voulait cacher et peut expliquer la destruction du SU 24 russe. Mais ce ne semble être là que la face immergée de l'iceberg.