La guerre de succession ou la fin de Nidaa Tounès Le ciment politique qui a rassemblé une majorité de Tunisiennes et de Tunisiens s'est passablement effrité. La Tunisie a vécu plusieurs évènements plus ou moins lourds de sens dans la période actuelle. D'abord, il y a eu cette mise en garde de l'ambassade américaine sur l'imminence d'un nouvel attentat ciblant un nouveau supermarché. Cette alerte a semé le trouble dans l'opinion, à peine remise des émotions suscitées par l'attentat contre la garde présidentielle. Ensuite, ce fut l'annonce par Moncef Marzouki, l'ancien président de la République, de la création d'un nouveau parti, destiné selon lui à compenser l'absence d'initiative politique. Enfin, tandis que BCE va s'envoler à destination de l'Arabie saoudite, voilà que le malaise de sa propre formation, Nidaa Tounès, s'est brusquement aggravé avec la déclaration finale, aujourd'hui même, du groupe des 31, en rupture avec la direction depuis plus d'un mois. Tout cela, à un moment où un responsable de Nidaa Tounès, s'adressant à une Assemblée des femmes du parti, explique qu' «un homme perd des milliers de spermatozoïdes chaque jour alors qu'une femme, quand elle perd un seul ovule, c'est un véritable festival de sang qui dure 4 ou 5 jours»... Le silence de Beji Caïd Essebsi, au lendemain des affrontements de Hammamet entre les deux clans qui veulent tenir Nidaa Tounès, aura donc conduit à cette «cassure», d'autant que le clan conduit par son fils n'a pas vraiment fait dans la dentelle face aux adversaires menés par Moncef Marzouki, l'ancien secrétaire général. Celui-ci fixe l'échéance d'une rupture consommée au 10 janvier prochain. D'ores et déjà, on voit bien que le ciment qui a rassemblé une majorité de Tunisiennes et de Tunisiens lors des élections du 23 octobre 2011 puis celles des législatives et de la présidentielle en 2014, s'est passablement effrité, rares étant ceux qui croient encore au «lancement d'un processus de refondation du projet national dans le prolongement de la pensée bourguibienne».Mus par un élan commun contre tout ce qui s'apparente au régime précédent, ils avaient donné leur voix à Ennahda, d'abord, puis à Nidaa Tounès au motif que ce parti saurait conserver les attributs du bourguibisme, mais ils ont déchanté dés le début 2015, avec la série d'attentats qui ont miné gravement l'économie du pays, desséchant la manne touristique. Les promesses de Beji Caïd Essebsi pour un «avenir meilleur» sont ainsi devenues un motif de ressentiment, tant le contexte est à la sinistrose, et les plus optimistes des Tunisiens ont réalisé qu'au final les dirigeants actuels, qu'ils appartiennent à Ennahda ou à Nidaa Tounès, n'ont pas de solution miracle à leur portée. Tout au plus, ils parent au plus pressé, tentant de colmater les brèches d'un navire en passe de sombrer à tout instant. En outre, leur alliance de pure façade n'augure rien de bon pour les enjeux impératifs en termes de développement économique attendu par une jeunesse livrée à un chômage dramatique et de gestion sécuritaire à laquelle la Tunisie n'a pas été vraiment préparée. Or, la menace de Daesh est à ses portes, voire même en ses murs, avec le retour de plusieurs milliers de jeunes qui sont partis combattre en Irak et en Syrie dans les rangs de l'Etat islamique et les explications pathétiques des dirigeants qui pointent du doigt les terroristes venus des montagnes algériennes n'ont, en fin de compte, dupé personne. L'immobilisme de Nidaa Tounès n'a d'égal que l'expectative d'Ennahda, les deux formations étant sans impact sur la gestion gouvernementale, elle-même plus chétive que rétive, leur inefficacité exacerbant les tensions dans une société habituée à des décisions fermes et déterminées, dans tous les domaines y compris sécuritaire. La pesanteur des leviers des deux alliés politiques est devenue tragique puisque ni le Parlement ni le gouvernement ne «bénéficient» des orientations nécessaires pour une embellie économique à laquelle beaucoup ne croient plus. Sauf que pour Ennahda, cette situation n'aura que peu d'impact sur sa composante, alors que pour Nidaa Tounès, le risque d'une fragmentation aggravée bien au-delà des deux clans qui se disputaient jusqu'ici le pouvoir est tangible. Une chose est sûre, Rached Ghannouchi a choisi de jouer la carte du temps, conscient des vents contraires qui balaient depuis quelques années le périple des Frères musulmans, ici et là, alors que l'apathie de Béji Caïd Essebsi obéit à d'autres facteurs, dont celui de jouir pleinement du temps présent...