Récit intimiste d'une jeune Algérienne vivant à Paris, publié aux éditions Barzakh, ce livre de 176 pages se lit d'un trait et ne vous lâche pas jusqu'à la dernière page... Elle se définit comme «la barre médiane» entre deux mondes, deux pays, ici et là-bas, l'Algérie et la France, bref, une fille de l'entre-deux. Cela fait 5 ans qu'elle s'est installée en France où la vie parisienne n'a désormais plus de secret pour elle. Voilà qu'un beau jour sa mère l'appelle pour lui annoncer que sa petite soeur va se marier. Sonne pour elle l'heure du doute, elle qui a atteint les 30 ans. Sous un faux air du carnet de Bridget Jones s'écoule ce truculent récit signé Kaouther Adimi qui après Les souliers de papicha revient avec un nouveau roman mi-figue mi-raisin pour nous conter avec une tendresse saupoudrée tantôt de mélancolie, tantôt de dérision son quotidien fait de questionnements, de boulot comme photographe dans un magazine pour enfants et enfin, ses relations avec les autres, son amie Mademoiselle Clotilde, et ce, quand elle n'est pas en train de répondre constamment au teléphone pour parler avec sa mère. Celle-ci habitant à Alger, la harcèle de questions et principalement la tarabuste pour rentrer au bled et se marier. Drôle et cocasse, Kaouther Adimi nous brosse pas seulement le portrait de sa vie de là-bas mais rebobine également le fil de son histoire, son enfance et adolescence, par bribes d'anecdotes avec sa petite soeur, son père ou son amie intime Amina et puis nous parle de ses déceptions amoureuses, de Yacine ou encore ses petits flirts de gamine alors qu'elle n'a même pas 10 ans quand elle s'amourache, notamment du petit garçon blondinet qui bégaye, Gabriel et puis se remémore ce barbu qui vendait des sous-vêtements de dentelles et qui provoquait un grand attroupement de filles attiré, par sa marchandise, mais dispersé par la police, et un tas d'autres anecdotes truculentes. En somme, une vie toute rangée en France, pourquoi devrait-elle à tout prix se marier et surtout changer ses habitudes? «Femme forte et indépendante» se contentait-elle de répéter pour se donner du courage et une bonne conscience et croire en sa vie de solitaire. Notre narratrice se décrit avec minutie, notant ses angoisses au fur et à mesure que les jours qui la séparent de son retour à Alger pour assister aux fiançailles de sa soeur avancent. Une vie ponctuée par le boulot, sa rencontre avec mademoiselle Clotilde sur le banc et son café qu'elle prend avec elle et puis son déjeuner chez le Grec du coin, dont elle commence à rêver d'une idylle avec lui. Mais non! juste des questions qui la rongent et qu'elle tente pourtant de les remettre dans les tiroirs de l'éphémère si ce n'est son existence morne et surtout sa mère qui vient le lui rappeler. Pourtant, notre narratrice est bien contente de sa vie et est convaincue qu'elle reviendra un jour dans son pays où elle rentrera définitivement avec fierté. En attendant, c'est là-bas qu'elle a décidé de ronger son frein, de grandir et faire son nid au rythme d'une vie remplie de plusieurs heures de travail et d'images synchronisées. Emouvante, scabreuse, touchante, parfois agacée ou agaçante, lasse ou décomplexée, attendrissante et romantique, la narratrice raconte sa vie et nous plonge dans la grisaille de Paris tout comme celle des âmes grises de cette ville-lumière, meublée de teintes au relent de nostalgie et d'amour brisé. Des pierres dans ma poche, nouveau récit de Kaouther Adimi semble s'accrocher justement à ses pierres du passé de son enfance comme une boule qui lui reste au travers de la gorge et ne la lâche plus. Le mariage de sa soeur l'accule ainsi à s'y attacher à nouveau. Des pierres que l'on enferme aussi dans la pomme de sa main comme un trésor qu'on tient soigneusement et fortement dans sa main pour ne pas qu'ils glissent et se perdent dans le vent. Des pierres qu'elles ramassaient enfant et qu'aujourd'hui elle possède comme ce petit appartement qui fait son chez-soi, loin de sa maison natale, ses siens et de son pays mais qui forme toutefois «sa propreté», son pied à terre et son bien-être, loin de ses souvenirs amers d'une Algérie meurtrie par le terrorisme et la peur avec laquelle elle a grandi et tenté d'y échapper ainsi. Un livre à lire impérativement.