Une jeune auteure pleine de promesses qui signe son premier ouvrage. Malgré quelques moments difficiles et de la désinvolture, le roman est frais et se lit d'une traite. Adel, Yasmine, Kamel, Sarah, Tarek, Mouna, la Mère, Hamza sont les personnages centraux du premier roman de Kaouther Adimi. Ces protagonistes sont les membres d'une famille disloquée, ou représentent les habitants d'un quartier populaire à Alger. Chacun des protagonistes se raconte et raconte sa réalité, son quotidien, ses déboires, ses échecs. Chaque personnage tente de se définir par rapport à son environnement social : Sarah et son mari Hamza, devenu fou, et sa fille Mouna ; Yasmine existe parce qu'elle est étudiante, qu'elle mène une vie monotone et qu'elle entretient une relation amoureuse avec son voisin, Kamel, pour qui elle cultive tous les sentiments sauf l'amour ; Adel est appréhendé par rapport à son ambiguïté sexuelle ; Hadj Youssef est présenté comme un coureur de jupons et ne trouve le bonheur que lorsqu'il enlace, contre de l'argent, une jeune étudiante ; et la Mère semble porter le fardeau de toute sa famille. Tout ce beau petit monde évolue dans un Alger ballotté entre traditions obsolètes et modernité. Cette dernière semble pourtant si lointaine, et les jeunes représentés dans le roman ne semblent aspirer qu'à une seule chose : fuir. Fuir le quotidien, la monotonie, la réalité, l'injustice, les autres. Ils veulent s'en défaire et s'échapper le temps d'un baiser, d'un soupir, d'une publicité, d'une petite sieste. C'est une réalité amère que semble nous peindre Kaouther Adimi. “Je passe devant les couple qui se prêtent serment en faisant attention aux policiers. Un groupe de jeunes chantent du gnawi. Des enfants jouent au ballon usé et déchiré. Un bébé fait ses premiers pas sous l'œil attendri d'une caméra. Sur un banc, à l'ombre des arbres et des regards indiscrets, Hadj Youssef embrasse une toute jeune fille. Les yeux de la fille sont fermés, ceux de l'homme grands ouverts. Regard lubrique. J'allume une autre cigarette”, écrit-elle à la page 127. À chaque intervention d'un des protagonistes, une vérité éclate sous l'œil attentif et parfois attendri du lecteur, même si la frustration des personnages n'est pas toujours évidente. Car ils ne sont pas suffisamment caractérisés ; leurs traits physiques et de caractères ne sont pas assez clairs. Ils se plaignent certes, refusent leur quotidien, mais l'auteur les a brimés. Ils ne se rebellent pas contre leur destin, et ne sont pas des antihéros. Ils gémissent et paraissent captivés par le malheur. Comme ultime solution à cet état d'inertie, le suicide devient, dans le roman, un acte salutaire. Une délivrance. Kaouther Adimi a cherché, par les nombreux narrateurs/personnages qu'elle fait intervenir, une certaine objectivité. Il n'y a pas de vérité absolue, il y a juste des histoires rapportés différemment, selon la sensibilité, le vécu et la réalité du personnage. Cette quête a pourtant été faussée par la maturité du discours de certains personnages, à l'exemple de la petite Mouna, dix ans à peine. En fait, il n'y a pas de rupture dans les récits, même si parfois le ton (le style) d'un des narrateurs change. Des Ballerines de Papicha démontre aussi que cette auteure en devenir a souhaité —sans trop heurter — présenter son univers et montrer ses influences. La structure du roman nous rappelle Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio, d'Amara Lakhous. Même si dans le roman de Kaouther Adimi il n'y a pas d'intrigue et tout semble fragmentaire, le procédé de donner la parole à chaque personnage fait penser à ce succès littéraire. Outre la construction désinvolte et le manque de précision dans les descriptions, Kaouther Adimi nous surprend avec de très jolies phrases qui lui présagent un avenir certain dans le monde des livres, notamment celle de la page 63, où elle écrit : “Les cris sont comme un protège-cahier : tant que quelqu'un crie, on est presque certain de ne pas avoir de problème.” Les thèmes qui traversent les Ballerines de Papicha sont nombreux, notamment la folie, l'homosexualité, le fossé générationnel, la convention et la censure sociales, la vie des étudiants, la mal-vie dans les quartiers populaires. Bien qu'elle ait cédé au défaut des premières fois : tout dire, l'auteure n'a pas été au bout de son propos. Il y a de la retenue, voire de la pudeur. Même si le potentiel de Kaouther Adimi est évident et son attachement à la poésie apparent, il y a lieu de noter qu'un roman, c'est avant tout une structure, une construction, une machine. Ce travail n'a pas été mené à bien. Par ailleurs, la partie la mieux construite est celle où Yasmine prend parole et relate son quotidien à la fac de Bouzaréah. Peut-être que c'est par là que devrait commencer Kaouther Adimi, pour écrire un deuxième roman. Des Ballerines de Papicha, de Kaouther Adimi, roman, 156 pages, éditions Barzakh, Algérie, juin 2010, 450 DA.