On est loin des délices de Fès ou d'Agadir, des palaces de Rabat et du Maroc fabuleux consignés dans les prospectus touristiques. Le livre de Zakaria révèle les tréfonds du royaume de l'arbitraire. Histoire dure, poignante, d'un livre écrit à quatre mains. «L'homme qui voulait parler au roi», de Zakaria Moumni et sa compagne Taline Moumni, publié aux éditions Calmann-Lévy en septembre 2015, raconte des faits réels d'une descente aux enfers du champion de kickboxing marocain. Le sportif demande l'application d'un décret royal qui lui donne droit à un poste de conseiller sportif. Mais il déchante quand il se heurte à des obstacles innombrables jusqu'à son rapt par les services secrets marocains à l'aéroport de Rabat. Rebelle, Zakaria a été d'abord écarté de la Fédération marocaine de kickboxing, un véritable nid de corruption. Pour avoir insisté à parler au roi, Zakaria a été mis en cause pour «atteinte à la sacralité du roi», puis enlevé en 2010 à l'aéroport de Casa. «On m'a conduit à une salle de l'aéroport de Casablanca avec quatre agents du contre-espionnage marocain. Ma famille attendait dehors. On m'a confisqué mon téléphone, menotté, bandé les yeux et emmené dans un 4×4 sur le tarmac.» Ce sont ces faits que le couple raconte crûment dans ce livre. On est loin des délices de Fès, de Rabat ou d'Agadir, des palaces de Rabat et du Maroc fabuleux consignés dans les prospectus touristiques. Le livre de Zakaria révèle les tréfonds du royaume de l'arbitraire. «Mon image du Maroc c'étaient les palmiers, les vacances à trois heures d'avion de Paris», note Taline Moumni qui découvre grâce à cette aventure pour la première fois le Maroc. Les espoirs nés de l'avènement au trône de Mohammed VI se sont vite estompés avec les témoignages sur l'arbitraire. Ligoté comme un vulgaire malfrat, le champion marocain se retrouve nu pour subir des séances de tortures au centre de Temara, à deux kilomètres seulement de la résidence de Mohammed VI à Rabat. Il s'agit d'un centre de torture qui rappelle celui du sinistre Tazmamarte: «Ils me répétaient que c'était l'abattoir de sa majesté, qu'on allait me découper, que je ne sortirais que dans des boîtes de conserve.» Zakaria ajoute: «C'était une petite cellule, trois mètres sur quatre avec un lavabo, un matelas par terre, des toilettes turques et une caméra au plafond. Il y avait aussi une fenêtre avec des barreaux à l'extérieur, et au loin, j'ai entraperçu des arbres. Quatre hommes cagoulés ont surgi et m'ont emmené dans une autre pièce.» Geste salvateur du boxeur: lorsqu'il parvient à retirer le bandeau que ses tortionnaires lui avaient mis sur les yeux, Zakaria Moumni reconnaît parmi ses bourreaux, le directeur du contre-espionnage marocain, Abdellatif Hammouchi. «Je ne sais pas au juste comment, mais dans un accès de rage, j'ai réussi à relever mes bras endoloris et soulever mon bandeau. Un type d'une quarantaine d'années, en costume, se tenait face à moi. Je n'avais jamais vu son visage.» Alors qu'il regardait la télévision des mois plus tard, le visage de son tortionnaire apparaît à la télévision. «Je l'ai reconnu quelques mois plus tard, en juillet 2011, en regardant à la télévision la retransmission de la cérémonie de la fête du Trône, ce grand cérémonial d'allégeance au roi qui a lieu chaque année et qui passait en boucle sur les chaînes nationales. Ce jour-là, Mohammed VI l'a décoré», raconte-t-il et il ajoute: «J'ai retenu mon souffle en écoutant son nom: Abdellatif Hammouchi. C'était donc lui, Hammouchi, le directeur de la Dgst marocaine, le grand patron du contre-espionnage, et l'un des 10 personnages les plus puissants du royaume.» Un personnage que Bernard Cazeneuve avait envisagé de décorer de la Légion d'honneur en 2015, avant de se rétracter devant le tollé provoqué par cette affaire. Taline a mené un combat courageux depuis la France pour faire libérer celui qu'elle a choisi pour être son mari, un vrai conte de fées bariolé de doutes, de douleur et perlé de joie et mu par de la passion. Elle a pu extraire son mari des geôles du roi en menant une bataille médiatique et en mobilisant les associations des droits de l'homme dont Human Right Watch, Amnesty International ou la Fédération internationale des droits de l'homme. Zakaria a été libéré en 2012, mais ses tortionnaires courent toujours. Pis encore, le pouvoir marocain a essayé d'acheter son silence. «La première des choses c'était l'émissaire du roi qui est venu me voir et qui m'a expliqué que je pouvais avoir un club, à 2 millions d'euros,», témoigne le champion après sa libération. En février 2014, il dépose plainte pour torture en visant notamment Abdellatif Hammouchi, patron de la Dgst. Cette plainte a été à l'origine d'une grave crise diplomatique entre Paris et Rabat. Le Maroc avait protesté quand, en février 2014, après la plainte de Zakaria Moumni, des policiers français s'étaient rendus à la résidence de l'ambassadeur du Maroc à Neuilly-sur-Seine pour notifier au patron de la Dgst - en visite en France - une convocation d'un juge d'instruction. C'est l'escalade diplomatique et l'affaire s'est terminée avec l'humiliation pour les services secrets marocains.