Le nombre de personnes arrêtées pour des faits liés au vol à main armée est passé de 1200 en 2002 à 1408 en 2003. En l'absence de documents fiables, on estime à 80 milliards l'argent pris par la violence dans les banques et les bureaux de poste, en deux ans, avec une tendance à la hausse, pour l'année 2004, de l'ordre de +58%. Le nombre de personnes arrêtées pour des faits liés au vol à main armée est passé de 1200 en 2002 à 1408 en 2003. En avril 2004, 242 personnes avaient été arrêtées et impliquées dans 96 affaires. L'attaque des convoyeurs de fonds de Bouzguène, à Tizi Ouzou, il y a trois jours, résume le nouveau profil des auteurs: une voiture, à la faveur d'un passage étroit, obstrue le chemin, une bombe artisanale explose et les assaillants tirent sur le véhicule pour l'immobiliser. Tout l'arsenal de guerre d'un groupe terroriste est mis à contribution, mais les auteurs restent non identifiés. Dans cette attaque, la mort, par balles, d'un des assaillants renseigne certainement sur l'hostilité entre les assaillants et les personnes assaillies, mais il y a plus d'une année, à l'ouest de Tizi Ouzou, la connexion entre les premiers et les seconds avait été, beaucoup plus tard, établie et le pactole partagé n'a jamais été récupéré. En fait, si le vol à main armée, ciblant les grosses sommes, est en vogue un peu partout en Algérie, c'est surtout en Kabylie qu'il fait florès et permet la jonction entre terroristes et bandes organisées. Les premiers possèdent les armes nécessaires à la réussite de toute opération, les seconds disposent de l'information, l'itinéraire et la discrétion du citoyen par-dessus tout. L'alliance des deux groupes, disposant ainsi des hommes et de l'armement qu'il faut, a complètement vidé les caisses en Kabylie. Avant l'attaque du convoi Azazga-Bouzguène, il y a eu celui, particulièrement meurtrier, de Larbaâ Nath Irathen, au cours duquel trois convoyeurs de fonds ont été tués et la somme de 450 millions de centimes dérobée. Entre les deux, nous avons eu droit à une exceptionnelle série d'attaques, tout aussi réussies les unes que les autres, et au cours desquelles agents de sécurité et policiers ont été laissés «sur le carreau». A Fréha, le 28 juillet 2004, l'attaque a été une parade: perpétrée en plein jour, à midi moins le quart, à visage découvert, elle a permis à ses auteurs de voler 500 millions. Six à huit jeunes, armes à la main et sans cagoules, en tenue de ville, jean's, jaquette, baskets, avaient fait irruption dans le bureau de poste de Fréha, situé en plein centre-ville, et avaient réussi à prendre de force tout ce qu'il y avait dans les caisses, soit 500 millions, avant de repartir, sans se presser, à bord d'un véhicule Boxer qui les attendait devant la porte principale. La facilité déconcertante avec laquelle s'était déroulée l'opération a laissé les gens ébahis. Quelques jours auparavant, le bureau de poste d'Ath Aïssi a reçu la visite de jeunes gens armés et là encore, 220 millions ont été dérobés. C'était le 15 mai 2004, et l'attaque s'était déroulée en 60 secondes chrono. On se doute, dès lors, que la préparation, l'information (sur une nouvelle alimentation en liquidités) le choix de la cible, les éléments «opérants» et ceux de surveillance, le mode opératoire, l'heure de l'attaque et les complicités internes sont autant d'éléments qui déterminent la réussite de l'attaque. Autour de ces deux attaques très caractéristiques, on peut trouver encore celle perpétrée au lieu dit Tissirt N'cheikh, près d'Aït Ahmed, à Aïn El Hammam, au cours de laquelle plusieurs dizaines de millions en dinars et en euros ont été dérobés, et où l'explosif, pour immobiliser le transport de fonds, a été utilisé. Le 6 octobre dernier, à Assi Youcef, le fourgon d'Algérie Poste assurant le transport de fonds a été attaqué et 245 millions volés. Les hold-up des agences bancaires de la Nouvelle-Ville de Tizi Ouzou ont fait florès tout au long des années 2002-2003, avec une mention un peu macabre et sanguinaire lors de l'attaque contre l'agence BDL d'Azazga et certaines petites recettes communales. Région géographiquement, culturellement et linguistiquement délimitée, la Kabylie a été plongée dans de graves troubles en avril 2001, avec la mort, dans les locaux de la gendarmerie, d'un jeune lycéen, Massinissa Guermah. Cette tension est venue se greffer sur le malaise social ambiant dans la région et les troubles politiques qui s'y développaient, facilitant la présence d'un groupe terroriste très discipliné: le Gspc. La neutralisation de la gendarmerie, discréditée par plusieurs mois de troubles, puis celle de la police, assignée à des missions déterminées pour circonscrire les troubles, poussent la région à n'être qu'un no man's land sécuritaire. C'était le début du «gangsterrorisme» en Kabylie. Paradoxalement, c'est à Béjaïa, non à Tizi, que le jackpot a été touché, avec le braquage et quadrillage de la banque, de 21 milliards de centimes, et en bonus le fait de ne pas avoir fait usage des armes. Le virus contamine toute la région. A Bouira, au sud de Tizi Ouzou, le braquage réussit tout aussi bien. En plein centre-ville, des individus pénètrent nuitamment dans les recettes municipales, «sans armes et sans violence» (les deux gardiens n'ont même pas été réveillés) et dérobent 5,2 milliards. Cela s'est passé au début de l'année et la complicité de la sécurité n'a pas tardé à être déjouée dans cette attaque où le grotesque le disputait au ridicule. Cependant, le braquage n'est pas l'apanage de la Kabylie, à petite échelle certes, Alger et Oran l'ont précédée dans ce procédé. L'attaque contre la Bcia d'Oran, en 2002, et les moyens humains, matériels et «théâtraux» mis à contribution restent un classique du genre, et plusieurs centaines de millions de dinars et d'euros ont été dérobées en plein jour. A Alger aussi, le casse-cou qui, à l'aide d'une seule bombe lacrymogène, avait réussi à voler, seul et en plein jour, il y a moins de deux années, la somme de 800 millions, reste un «cas d'école». De petits vols sont signalés çà et là à l'Est, au Centre et à l'Ouest, le Sud restant épargné par la contamination. A Tipaza, une tentative de braquage contre un convoi des postes et télécommunications réussit, et les quatre auteurs prennent possession de deux milliards. Comble de malchance, un de leurs comparses est un policier en civil, qui vend aussitôt la mèche et permet le démantèlement du groupe. Entre l'attaque, perpétrée le 29 septembre 2003 et leur arrestation, ils n'ont même pas eu le temps de manger un dindon farci, car la farce était avariée. Mais attention, le quatrième larron de l'équipe était un officier du DRS, et il semble, après coup, que le policier était partie prenante dans la combine avant de se rétracter. Les policiers ripoux, il en existe partout, l'essentiel reste à les débusquer. C'est ce qu'avait exactement fait la sûreté de wilaya de Miliana en arrêtant deux policiers, qui avaient commis un sanglant hold-up en juillet 2003 dans le but de s'emparer des fonds de la recette postale. L'attaque avait coûté la vie à trois personnes, le receveur de la poste, le gardien de nuit et son fils, qui lui ramenait inopinément son dîner. Cette attaque avait fait trois morts et aucun dinar n'avait été volé : pris de panique, les deux policiers avaient choisi de s'enfuir. Réseaux de banditisme, terroristes à la traîne, criminels recyclés, contrebandiers et trafiquants d'armes s'unissent pour le pire afin de dénicher le jackpot. Autre monde, autres modes, et l'Algérie renaît au rythme des grandes villes américaines de la côte Est, à l'époque de la prohibition.